KHATIBI ABDELKÉBIR (1938-2009)
L' écrivain marocain Abdelkébir Khatibi est né le 11 février 1938 à El Jadida (ex-Mazagan) le jour même de la fête de l'Aïd el-Kébir, ce qui explique le prénom qu'il porte. Il est le deuxième fils d'une famille composée de trois garçons et deux filles. Son père, un lettré originaire de Fès, d'abord imam de mosquée (celui qui dirige la prière), se convertit au négoce et s'installe dans les années 1930 à El Jadida. Il prend pour épouse une Beni-Hillal originaire de Jordanie. Son grand-père était un maalem (maître) plâtrier, spécialiste dans le zellige, cet art de la mosaïque que l'écrivain évoque dans son dernier roman Pèlerinage d'un artiste amoureux.
Le jeune Abdelkébir fait ses premières classes à Marrakech comme élève interne, avant de se rendre pour la terminale au lycée Lyautey à Casablanca où il obtient son baccalauréat. Il entame au début des années 1960 des études de philosophie à la Sorbonne, adhère au mouvement communiste marocain des étudiants regroupés autour de l'U.N.E.M. et écrit dans le journal El Mokafih (Le Combattant). De retour au Maroc en 1964, il prend en 1966 la direction de l'Institut de sociologie de Rabat et publie en 1968 un essai intitulé Le Roman maghrébin que publient les éditions Maspéro. En 1969, l'Institut est fermé sur ordre des autorités, qui voient d'un mauvais œil son influence sur des étudiants alors résolument dans l'opposition au régime. À la même époque, il quitte le Parti communiste marocain tout en conservant intactes ses amitiés.
La carrière de Khatibi prend un tournant décisif avec la publication en 1971 de La Mémoire tatouée, récit dans lequel l'écrivain inaugure au Maroc un genre nouveau, entre autofiction et roman à thèse. Le livre, découvert par Maurice Nadeau, est salué par Roland Barthes dans un article célèbre : « Ce que je dois à Khatibi » rend hommage à l'homme qui saisit « l'autre à partir de notre même ». L'écrivain poursuit alors une quête incessante de la différence et du même qu'il va explorer à travers une multiplicité de voies : recueils de poésie, essais littéraires et sur l'art islamique, récits. Se compose ainsi la généalogie d'un savoir en mouvement, habité par le voyage intime dans l'existence des hommes. Certains livres, Amour bilingue (1983), Le Livre du sang (1979), Maghreb pluriel (1983), Figures de l'étranger (1987), Un été à Stockholm (1990) multiplient les variations thématiques dont l'université, à l'exemple de Assia Belhabib dans La Langue de l'hôte (2009), va s'emparer pour les transmettre de génération en génération. Khatibi pousse encore plus loin cette passion pour l'autre qui ramène à l'examen de soi. Après l'Europe, il se tourne vers le Japon. Ombres japonaises (1988) entreprend la lecture du livre de Tanizaki Éloge de l'ombre et invite à sortir de certains clichés trop rapidement accolés au Japon. Tantôt dans le roman, tantôt dans l'essai, la dramaturgie ou la poésie, l'homme se plaît à jouer de cette non-identification et tente d'en faire sa force. Par deux fois, il prend position politiquement et publiquement, de manière inégale. Si Vomito Blanco (1974) reste un ouvrage prémonitoire sur le conflit israélo-palestinien, L'Alternance et les partis politiques (1998), qui salue l'arrivée de la gauche à la tête du gouvernement marocain, n'emporte pas l'adhésion. Khatibi s'intéresse également à la psychanalyse, Le Même Livre (1985) propose ainsi un dialogue avec Jacques Hassoun. Deux intellectuels, l'un de confession juive et l'autre musulmane, cherchent à se connaître et à se reconnaître. Son dernier livre Le Scribe et son ombre (2008), revient après La Mémoire tatouée et Pèlerinage d'un artiste amoureux sur sa[...]
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Écrit par
- Mustapha BENCHEIKH LATMANI : professeur de l'enseignement supérieur
Classification
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