GANCE ABEL (1889-1981)
Grande figure du cinéma français muet, Abel Gance impose pendant la Première Guerre mondiale un lyrisme exacerbé, un imaginaire déchaîné, un sens des éclairages qui tranchent sur la grisaille d'un cinéma national qui ne s'est pas relevé du choc d'août 1914. Il va être, dans les années 1920, l'homme d'un cinéma épique, visionnaire et démesuré qui culmine avec le Napoléoninachevé de 1927. Le passage au cinéma parlant, deux ans plus tard, lui est fatal. Gance a passé le reste de sa longue vie à tenter de convaincre les maîtres de l'industrie et les pouvoirs publics, tous régimes confondus, de mettre à sa disposition les moyens nécessaires à la réalisation des projets pharaoniques nés de son imagination de poète, qui assurait porter en lui le génie d'Eschyle, de Dante et de Victor Hugo.
Le cinéma, musique visuelle
Abel Gance est né le 25 octobre 1889 dans un quartier populaire de Paris. Fils naturel d'un médecin qui subviendra à ses études secondaires, il est reconnu en 1892 par le compagnon de sa mère, Adolphe Gance, chauffeur mécanicien. Sa petite enfance se passe chez ses grands-parents à Commentry, alors cité minière de l'Allier. Revenu à Paris, on l'inscrit dans un collège catholique puis au lycée Chaptal, qu'il quitte pour travailler chez un huissier. Passionné de poésie, il dit s'être enfermé des jours entiers à la Bibliothèque nationale. C'est alors le théâtre qui l'attire. Dès 1906, il monte sur les planches, sans grand succès. Il écrit des poèmes, puis des pièces exaltées. Il fréquente la bohème, veut s'affirmer, « aller plus loin que les autres ». À partir de 1910, il gagne sa vie en vendant des scénarios à différentes maisons de production. En mars 1912, il publie un manifeste qu'il a intitulé : « Qu'est-ce que le cinématographe ? Un Sixième Art ».
Au début de 1912, Abel Gance réalise quatre petits films, aujourd'hui perdus. En 1915, il signe un contrat avec une filiale de Pathé pour laquelle il tourne en quelques mois dix films courts, dont La Folie du docteur Tube, une pochade fondée sur la déformation de l'image obtenue par des jeux de miroirs. En 1916, il aborde le long-métrage et s'oriente vers le drame mondain avec Le Droit à la vie, Mater dolorosa, puis La Dixième Symphonie. C'est le moment où une critique sérieuse commence à prêter attention au cinéma. Émile Vuillermoz en fait partie, qui s'enthousiasme pour cette Symphonie : « On pourra un jour photographier la musique jusqu'à l'âme, fixer sur l'écran, en reflets rythmés, son visage changeant : les frontières de l'art muet sont reculées, des lueurs grandissent et des fenêtres s'ouvrent ». Gance triomphe, il est compris des happy few.
J'accuse, qu'il tourne à l'automne de 1918 et qui sort en mars 1919 en trois épisodes, va atteindre le grand public. Le film convoque à l'écran les morts de la guerre qui vient de se terminer pour hurler l'horreur de ses carnages. En 1922, Gance réduira ce J'accuse à un seul très long-métrage, gommant l'outrance « nationaliste » et accentuant la dimension pacifiste et universelle de l'œuvre.
Dans cet après-guerre où le cinéma hollywoodien occupe les trois quarts des écrans français, Gance est, avec Louis Delluc, Jean Epstein et quelques autres, un phare de cette avant-garde qui théorise et réalise une première vague de cinéma d'auteur. De 1919 à 1922, il tourne dans les Alpes et à Nice un premier film hors norme, La Roue, dont le héros est un conducteur de locomotive qu'il a appelé Sisif. Gance en a travaillé durant un an le « montage rythmique » : il segmente les scènes d'action en plans brefs, heurtés, qui composent ce qu'il appelle une musique visuelle. À sa sortie dans une version très longue, le film est mal accueilli par une[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
Classification
Média
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