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GANCE ABEL (1889-1981)

Napoléon Bonaparte

En septembre 1923, Abel Gance présente le projet d'un film épique sur Napoléon, en huit épisodes de 2 000 mètres chacun. Projet démesuré, qui implique un financement européen. Gance l'obtient en 1924 auprès de deux financiers, le Russe émigré Vladimir Wengeroff et l'Allemand Hugo Stinnes, qui ont créé une entreprise de production, la Westi Film Gmbh, qui s'est associée à d'autres producteurs, dont Pathé. Le tournage de Napoléon commence en janvier 1925. Interrompu par la mort de Stinnes et l'effondrement de son empire, il reprend de janvier à août 1926 avec une ambition réduite. Abel Gance avait mis au point une technique permettant de coordonner trois projecteurs et donc trois écrans qui proposaient trois scènes complémentaires, voire une image unique (comme l'aigle impérial déployant ses ailes sur un écran plus large que ne sera celui du Cinémascope). Il a d'emblée monté plusieurs versions du Napoléon – l'une de six heures découpée en trois épisodes pour la diffusion en salle, et une autre de 3 heures 15 minutes, avec les triptyques, présentée le 7 avril 1927 à l'Opéra de Paris devant un public d'invités qui fit de cette première un triomphe. L'accueil du grand public, qui voyait le film en plusieurs fois, et sans l'attraction du triple écran, fut moins chaleureux. Bientôt, l'apparition du parlant rejeta cruellement Napoléon au magasin des vieilleries.

Les copies de 1927 ont disparu. En 1935, Abel Gance en a tiré une version sonorisée sous le titre Napoléon Bonaparte. Les triptyques ont alors disparu, quelques scènes en son direct ont été ajoutées, de nombreuses scènes muettes écourtées. En 1955, Gance a revu cette version à l'occasion d'une projection au Studio 28 à Paris. Le montage a été resserré, et Gance a réinséré le triptyque final. En 1970, Claude Lelouch, qui a racheté les droits du film, en tire avec l'aval de Gance une version intitulée Bonaparte et la Révolution. Il ajoute quelques scènes, en mutile d'autres et refait le son. Cette version a été exploitée, sans triptyques, pendant quelques années. Depuis les années 1960, l'historien britannique Kevin Brownlow avait commencé une restauration rigoureuse, cherchant dans les archives du monde entier des copies ou des fragments du chef-d'œuvre vandalisé. La version Brownlow est projetée en l'état de sa recherche en 1979, au festival américain de Telluride. Francis Ford Coppola finance une sonorisation du film dont il fait aussi retoucher le montage. Brownlow continue sa reconstruction, et peut proposer à Londres en 1980, et pour la première fois en France au Havre en 1982 une version presque complète (il manque encore quelques scènes et deux triptyques) du Napoléon de 1927. C'est une redécouverte majeure.

Trois générations de cinéphiles, qui pendant un demi-siècle avaient été plus ou moins déçus par des copies défigurées, ont enfin pu sentir le souffle unique du chef-d'œuvre que Gance n'avait pas su préserver. L'inventivité, le lyrisme, une ampleur effectivement hugolienne, la folie à l'occasion, déployés par Gance, tant au tournage qu'au montage font passer les à-peu-près historiques. Les scories du scénario sont emportées par la puissance tellurique de la mise en scène, et par l'interprétation hallucinée d'Albert Dieudonné.

Un grand amour de Beethoven, A. Gance - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Un grand amour de Beethoven, A. Gance

Et après ? La Fin du monde, conçu en 1929, qui est tourné pour partie en muet, pour partie en sonore à Joinville, est maltraité par des montages successifs. Le film, qui se veut porteur d'un message gancien (un illuminé se bat pour sauver la planète) est en 1931 un échec artistique et commercial. Gance tourne ensuite un remake ambitieux de sa Mater dolorosa, puis s'aligne sur la médiocrité du cinéma de petits producteurs à laquelle peu échappent dans les années[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma

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Média

Un grand amour de Beethoven, A. Gance - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Un grand amour de Beethoven, A. Gance

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