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ABHINAVAGUPTA (fin Xe-déb. XIe s.)

Abhinavagupta se réclame, comme tous les shivaïtes, des āgama ou tantra, qui sont les textes orthodoxes du shivaïsme dans l' Inde entière (et en particulier dans le Sud). Il se situe dans la lignée d'enseignement des grands maîtres du shivaïsme trika : Vasugupta, à qui furent « révélés », aux environs du viiie siècle, les śivasūtra, créateur de la « thèse de l'autonomie » du Seigneur (svatantryavāda) ; Somānanda, qui insiste sur la « reconnaissance » (pratyabhijnā) de l'universelle conscience dans le monde et en nous-mêmes ; Utpaladeva, à la fois mystique et poète. Abhinavagupta forma lui-même plusieurs élèves, en particulier Kṣemarāja, qui commenta plusieurs ouvrages de son maître.

Parmi les ouvrages d'Abhinavagupta, certains sont plus proprement philosophiques, en particulier la Vimarśinī, qui est un commentaire des « versets sur la reconnaissance du Seigneur » (Iśvarapratyabhijnākārikā) d'Utpaladeva et une interprétation, dans une perspective shivaïte, de la Bhagavadgītā. D'autres commentent et développent les données de la révélation. Le volumineux Tantrāloka, (« l'examen des tantra »), dont la matière est résumée dans le Tantrasāra (l'« essence des tantra »), appartient à cette dernière catégorie. C'est une somme des conceptions tant philosophiques que religieuses et sotériologiques du shivaïsme trika, où l'auteur fait montre à la fois d'une piété profonde, d'une pensée pénétrante et aussi d'une indépendance d'esprit qui le porte à dépasser sans cesse les conceptions étroites, et à élargir constamment le point de vue de ses prédécesseurs.

Le shivaïsme d'Abhinavagupta et de ses devanciers est aussi moniste que celui de Śankarācārya ; mais il tient à attribuer à l' absolu une complète autonomie (svātantrya) ou encore, sous un autre aspect, une volonté susceptible de s'exprimer sous forme d'activité. L'absolu est, dans cette perspective, pure conscience (caitanya), mais cette conscience comporte deux aspects d'ailleurs indissociables : prakāśa, qui est pure lumière, et vimarśa, qui est la prise de conscience, donc un acte. Śiva, dans sa forme la plus haute, est en quelque sorte une lumière qui s'éclaire elle-même. Le shivaïsme trika analyse très finement comment l'ébranlement initial (saṃrambha), souverainement libre, de la prise de conscience de Dieu se propage, en développant successivement des énergies (śakti), puis, à travers de multiples catégories (tattva) dûment inventoriées, les différentes émanations qui aboutissent à la création matérielle, et au cours de laquelle la pure conscience se dégrade ; c'est l'enseignement du spanda (spandaśāstra), de la vibration. Les catégories (tattva) inférieures sont d'ailleurs empruntées au sānkhya comme dans le śaivasiddhanta.

Sur le plan sotériologique, Abhinavagupta insiste sur l'importance de la grâce de Śiva, qui est Śiva lui-même, puisque Dieu n'est pas distinct de la connaissance de Dieu. Il distingue plusieurs voies d'accès au salut, qui n'est pas à proprement parler, dit-il, une libération, mais simplement la « reconnaissance » de notre identité au Śiva suprême. Les unes font appel aux pratiques religieuses, à la méditation et au yoga, mais quelques êtres privilégiés peuvent être brusquement ravis par l'appel de la grâce et confrontés de manière immédiate à leur suprême réalité : c'est l'état dit bhairava. Le voile de l'illusion, qui trouble la limpidité de la conscience, peut d'ailleurs se déchirer en certaines circonstances, par exemple à l'occasion d'un choc ou lors du ravissement amoureux ou esthétique.

Car, bien que les œuvres esthétiques d'Abhinavagupta soient légèrement en marge de sa production philosophique, ses[...]

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