ABORIGÈNES AUSTRALIENS
Spiritualité : le Dreaming et la terre
Les sociétés aborigènes diffèrent beaucoup selon les régions et leur environnement. Mais certains principes leur sont communs, notamment le concept de Dreaming (rêve). Plutôt que comme un âge d'or mythique des origines et de la création, il faut l'entendre comme la mémoire virtuelle de tout ce qui fut, est et sera une mémoire de la terre et du cosmos. En ce sens, le Dreaming constitue un espace-temps parallèle où les hommes se ressourcent en rêve et dans les rites, pour réactualiser les attaches spirituelles qui les associent individuellement et collectivement à des sites terrestres. Les ancêtres, qui ont présidé à la formation de ces lieux, à la reproduction de toutes les espèces animales et végétales, de l'eau, de la pluie et de toutes les formes culturelles, continuent à agir à chaque naissance et dans l'environnement : ils sont eux-mêmes des Dreamings, des mémoires qui se matérialisent sous de multiples formes, site, faune, flore, nuage, ouragan, et tout enfant à naître. À ce titre, chacun est considéré comme l'incarnation d'un esprit totémique du Dreaming propre à la communauté.
Sur tout le continent, des milliers de toponymes sont nommés : tout accident topographique, colline, rocher, source, tout arbre un peu ancien, toutes les rivières, les ruisseaux et les lits de sable qui ne se remplissent d'eau que pendant la saison des pluies, les estuaires et les récifs. Que les sites soient pour nous naturels – grotte, dépôt d'ocre, etc. – ou culturellement marqués de peintures, gravures rupestres, pétroglyphes ou arrangement de pierres, tous, du point de vue des Aborigènes, sont la trace vivante du passage ancestral de héros fondateurs et de leur présence éternelle sous forme d'esprits veillant sur les hommes. Tous les lieux nommés sont donc les balises d'un patrimoine culturel et spirituel. La terre est comme un livre rempli de signes vivants.
De tout temps, certains sites étaient communs à plusieurs groupes et leur gardiennage se négociait au rythme des alliances, faisant fluctuer les frontières et les droits territoriaux. Lorsque les hommes et les femmes sont gardiens de sites, ils ont des responsabilités rituelles à leur égard. Pour que le savoir hérité des ancêtres puisse se transmettre, il faut accomplir des rites – danser, chanter, peindre le corps et les objets sacrés – qui mettent en scène les mythes tels qu'on les a reçus des anciens. Il faut aussi rêver ou avoir des visions, car cet état second permet d'apprendre à voyager dans l'espace-temps des récits qui ont été transmis de génération en génération, de transposer sous forme de nouveaux chants, peintures et danses des événements historiques, d'adapter les expériences personnelles et aussi de lire les signes prémonitoires, comme l'association totémique d'un enfant à naître.
Cette spiritualité traditionnelle est revendiquée par certains Aborigènes comme une religion à part entière, et en ce sens perçue comme incompatible avec le christianisme, ou d'autres religions, tel l'islam introduit par les pêcheurs malais ou philippins. Au xixe siècle, les observateurs discutaient de l'existence dans le Sud-Est d'un « Père de tous » : croyance précoloniale ou influence missionnaire ? Très rares étaient ceux qui acceptaient que les croyances totémiques aient un statut de religion et qu'un dieu unique puisse exister chez des gens à la technologie de pierre. Aujourd'hui, les Warlpiri disent que si la Bible est traduite en warlpiri, cela aidera le Dieu chrétien à comprendre leur relation spirituelle à la terre. Pour certains sages aborigènes, tel feu David Mowaljarlai, le Dreaming est à la fois un et multiple et ils admettent qu'on puisse croire simultanément à leurs esprits totémiques et au Dieu chrétien. Les positions[...]
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Écrit par
- Barbara GLOWCZEWSKI : docteur d'État ès lettres et sciences humaines, directrice de recherche au C.N.R.S.
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