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HAMMACHER ABRAHAM (1897-2002)

Le critique d'art néerlandais Abraham Hammacher est mort au bel âge de cent quatre ans. On lui doit un grand livre, L'Évolution de la sculpture moderne (1969, rééd. augm. 1988) et le célèbre parc de sculptures (1961) du musée Kröller-Müller à Otterlo (Pays-Bas) dont il fut le directeur de 1947 à 1963. Né à Middleburg en 1897, « Bram » Hammacher a fait une première carrière dans les Postes (de 1927 à 1947), mais ce « facteur Cheval » haut fonctionnaire était surtout soucieux de rencontrer les artistes et tous ceux qui comptaient dans le monde de l'art, au cours de ses voyages à travers l'Europe. En 1947, il est nommé directeur du musée Kröller-Müller d'Otterlo, construit en 1937-1938 par l'architecte Henry Van de Velde. C'est dans ce lieu magique qu'il a mûri deux de ses passions : la liaison entre la sculpture et l'architecture et la place de la sculpture dans un espace naturel. En effet, si le hall du Kröller-Müller met en valeur la sculpture, comme celui du musée Wilhelm Lembrück de Duisburg (Allemagne), il faut se perdre dans les allées du parc pour voir des sculptures vraiment faites avec et pour l'environnement. Quel ravissement par exemple que les sculptures de Marta Pan flottant sur l'étang !

Comme historien de l'art, Hammacher avait quelques convictions fortes et un solide instinct de « regardeur ». Pour lui, la connaissance c'était « savoir regarder ». Son livre, paru en français sous le titre La Sculpture en 1988, offre un ensemble de réflexions nées de ses pérégrinations. La méthode est ambulatoire, comme l'est l'expérience vivante de tourner autour d'une sculpture. Il s'agit d'« émotions repensées après coup et mises en perspective ». Hammacher ne cherchait pas l'exhaustivité – et certaines absences surprennent, notamment dans le domaine de l'art technologique ou dans celui de la performance pour lesquels il n'avait pas d'« affinités », un mot récurrent de son vocabulaire. Ce qu'il n'a pas vu, éprouvé, il ne l'a pas consigné. Hammacher goûtait peu les installations ou le ready-made. Mais, si ses idées sont arrêtées, il n'en reste pas moins étonnamment vigilant, car il sait voir et soutenir Daniel Buren, Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, Richard Serra et Robert Morris.

Hammacher avait l'absolue conviction que, « dans le siècle de l'espace, le pictural a cessé de dominer » : pour lui, le xxe siècle est le siècle de la sculpture, ou plus exactement celui d'un « nouvel espace, extrêmement différencié ».

Le maître livre de Hammacher se compose de deux parties, l'une terminée en 1969 et portant sur la sculpture depuis Michel-Ange jusqu'à 1960, l'autre étant une actualisation, en 1987-1988, sur « Espace explosé-Espaces explorés : tendances depuis 1960 ». La première partie fait de l'expérience de l'espace le nœud même de la sculpture, et, ignorant Rodin, va directement à Michel-Ange et à Bernin. On appréciera les raccourcis pertinents comme celui de « l'impression de grotte » qui chemine de Bernin à Hepworth, du visage extatique de la Sainte-Thérèse de Bernin à Dalí, ou celui des sentiments « primitifs » de l'espace qui font surgir la photographie d'un arbre ou celle d'un dolmen pour faire comprendre Rodin, Bourdelle, Maillol ou Rosso. L'idée directrice de l'auteur, ou plutôt la résultante de ses observations, est que, à la forme fermée, succède l'« ouverture vers une conscience spatiale », aussi bien dans la redécouverte de l'archaïsme (l'art préhistorique ou l'art grec) que dans le sentiment moderne issu de la guerre, par exemple chez Giacometti. L'un des mérites de Hammacher est d'avoir souligné la richesse du Constructivisme en sculpture.

L'ouverture[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre

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