KARDINER ABRAM (1891-1981)
L'idée de « personnalité de base »
C'est à ces problèmes que Kardiner consacre ses deux premiers livres, et qui sont aussi les plus importants, The Individual and His Society (1939), et The Psychological Frontiers of Society (1945). L'objectif premier étant donc de penser la culture comme une totalité singulière, c'est en termes psychologiques qu'on se proposera de comprendre comment la société dans son ensemble vit la culture en sa totalité. Pour cela, on substitue à l'individu qui vit une situation sociale singulière un individu moyen, conçu à la mesure et comme à l'image de la société qui vit l'ensemble de cette culture. Kardiner élabore ainsi le concept de « personnalité de base », qui est une abstraction ou plutôt un artefact, mais qui mord sur le réel : la personnalité de base est le commun dénominateur des personnalités individuelles dans un groupe social donné. Kardiner reconnaît qu'« on peut aisément trouver [cette notion] dans les écrits d'Hérodote ou de Jules César », partout où il est question de caractère national ou de personnalité moyenne. Mais ce qui est neuf chez lui, c'est, outre le recours à la psychanalyse, le fait de mettre la notion au service de l'étude des cultures. La relation, essentielle, de la personnalité de base à la culture est une relation double, qui implique elle-même une dualité à l'intérieur de la culture. La culture est, en effet, définie comme la configuration totale des institutions, l' institution étant elle-même « un mode fixé de pensée ou de comportement commun à un groupe d'individus, qui peut être communiqué, qui est communément accepté et dont le refus provoque un trouble dans l'individu ou dans le groupe ». Comment référer ces institutions à la personnalité de base ? En introduisant une distinction entre institutions primaires et institutions secondaires ; les premières (par exemple, l'éducation) sont celles qui exercent une action déterminante sur cette personnalité ; les secondes (par exemple, la religion) sont celles qui reflètent cette personnalité et qui expriment sa réaction à cette action.
Chez les Tanala, que Linton a étudiés à Madagascar, la famille est patriarcale : le père, et après lui l'aîné, exerce un pouvoir absolu. Il exploite le travail des fils et parfois frustre leurs besoins. Par ailleurs, les enfants ont fait très tôt l'apprentissage de la discipline : le contrôle des sphincters leur est imposé à l'âge de six mois et les jeux sexuels leur sont interdits. Cela conduit à une religion autoritaire et une ritualité exigeante : immobilité du culte ancestral ; peur des esprits, qui punissent le péché par la maladie (et l'on ne guérit de celle-ci que par la soumission) ; peur de la magie ; légendes œdipiennes où la haine des femmes est réprimée ; croyance au destin. Ce type d'analyse, qui illustre l'exemple de Linton, est constamment repris dans les études empiriques. Et l'on voit pourquoi : il s'accorde à tout un mouvement de pensée où la psychanalyse tient évidemment sa place et selon lequel, étant donné la plasticité de l'humain – l'indétermination de la nature humaine –, la fonction de l' éducation est décisive ; elle est à la fois une institution que l'individu rencontre et le moyen qu'il a de rencontrer toutes les institutions. Certes, l'idée de la toute-puissance de l'éducation est déjà présente dans le behaviorisme et dans la théorie du learning ; mais l'analyse propre à la psychologie behavioriste découpe des comportements séparés, et souvent élémentaires, réagissant à des situations elles-mêmes distinctes, sans que l'idée de totalité inspire jamais la recherche. Cette idée, en revanche, apparaît dans des travaux qui, tels ceux de Margaret Mead[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Mikel DUFRENNE : ancien professeur à l'université de Paris-X
Classification
Autres références
-
ANTHROPOLOGIE
- Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER et Christian GHASARIAN
- 16 158 mots
- 1 média
...individus et leurs comportements. Leur école dite « Culture et personnalité » et représentée notamment par Ruth Benedict, Margaret Mead, Ralph Linton, Abram Kardiner, soulignait l'influence de la culture sur la formation de la personnalité. Quand R. Benedict parle de « pattern de culture », M. Mead... -
CULTURALISME
- Écrit par Marc ABELES
- 2 568 mots
...la variété ontologique de l'objet et l'exigence méthodologique d'unité et de synthèse conceptuelle. Une telle visée caractérise la collaboration entre Abram Kardiner et Ralph Linton. Le premier, psychiatre de formation, s'appliqua, surtout à partir de 1937, à forger une théorie des rapports entre institution... -
DUFRENNE MIKEL (1910-1995)
- Écrit par Daniel CHARLES
- 974 mots
Philosophe de renom international, Mikel Dufrenne, décédé à Paris le 10 juin 1995, s'est affirmé, au fil d'une carrière universitaire particulièrement brillante, comme l'un des maîtres les plus prestigieux de l'esthétique française. Né le 9 février 1910 à Clermont (Oise), élève d'Alain au lycée Henri-IV,...
-
INDIVIDU & SOCIÉTÉ
- Écrit par André AKOUN
- 4 496 mots
Il existe cependant deux façons d'envisager les fonctions de la famille. On peut, à la suite de Kardiner, de Linton et dans la perspective ouverte par l'école américaine d' anthropologie culturelle, ne voir dans la famille que le lieu d'un apprentissage qui permet à l'enfant d'acquérir le système d'attitudes... - Afficher les 9 références