ABSOLUTISME
Comme tous les concepts à plusieurs dimensions (ici politique, historique, juridique, doctrinal), le concept d'absolutisme est assez flou. Son étude présente trois sortes de difficultés portant sur l'objet lui-même.
La première difficulté tient à ce que l'on désigne généralement par ce terme des doctrines, ou un corps de doctrines. Or une analyse même sommaire montre à quel point ces doctrines sont faibles, mal fondées, sauf celle de Hobbes. Il semble bien que l'absolutisme soit beaucoup plus une pratique de gouvernement, donnant naissance à ce que l'on peut à la rigueur appeler doctrine, et qu'il vaudrait mieux considérer comme l'idéologie d'un groupe dirigeant. Il s'agit d'une pratique bien plus que d'une structure ou d'un système. Il peut y avoir absolutisme sous une forme monarchique, mais aussi sous d'autres formes. Ce n'est pas simplement l'absence de limite dans les structures constitutionnelles qui le caractérise.
La deuxième difficulté tient à ce que l'on restreint généralement l'application de ce terme à la monarchie occidentale pour une période discutée.
Personne ne doute que le xviie siècle français soit caractérisé par l'absolutisme monarchique. Mais, en Angleterre, malgré les prétentions royales, c'est plutôt un échec. Par ailleurs, les historiens sont partagés en ce qui concerne le xvie siècle : certes, la monarchie espagnole du xvie siècle est absolutiste. Mais on peut hésiter en ce qui concerne la France. Mesnard considère que la « monarchie royale » au xvie siècle français ne peut être qualifiée d'absolutiste. Et en ce qui concerne le xviiie siècle, nous trouvons le qualificatif de « despotisme éclairé », mais une majorité d'historiens estime que l'on avait raison d'employer parfois au xviiie siècle le terme d'« absolutisme éclairé », et qu'il faut ranger cette forme de gouvernement dans le cadre de l'absolutisme.
La troisième difficulté est encore plus délicate. Il s'agit de savoir si ce concept doit être réservé pour la période historique où le gouvernement est habituellement qualifié ainsi, ou s'il peut être étendu : autrement dit, l'absolutisme est-il une forme d'action politique spécifique des xvie, xviie et xviiie siècles en Occident, ou bien peut-on englober dans ce vocable d'autres formes présentant les mêmes caractères ?
Certains parlent de l'absolutisme aztèque, ou bien n'hésitent pas à appliquer ce terme aux dictatures modernes, substituant le mot absolutisme à celui fréquemment employé d'autoritarisme. Si les auteurs français optent généralement pour le sens limitatif, les auteurs anglo-saxons (par exemple Epstein) prennent souvent le sens large. De toute façon, les références restent en définitive les monarchies française ou espagnole des xvie et xviie siècles et le despotisme éclairé du xviiie.
Il convient donc, pour savoir finalement de quoi il s'agit, d'examiner ces monarchies afin de déterminer par abstraction certains traits de ces gouvernements appelés absolutistes. À partir de ces traits, on peut tracer un portrait de l'absolutisme, et alors seulement voir en quoi il est éventuellement applicable à des gouvernements modernes. Il faut avancer toutefois une dernière remarque de méthode : ce n'est pas, disions-nous, un corps de doctrines. Pourtant l'absolutisme, quoique issu de la pratique, représente toujours une prétention de la part du pouvoir, plus considérable que ce qu'il peut réaliser effectivement. Il ne s'agit pas d'une doctrine idéale, tirée d'une philosophie ou d'une théologie, mais du fait de porter intellectuellement à l'absolu une pratique dont on sait que, finalement, elle n'atteindra point cet absolu.
Il n'y a donc jamais coïncidence[...]
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Écrit par
- Jacques ELLUL : professeur émérite à l'université de Bordeaux-I, membre de l'Académie de Bordeaux
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