ABSTENTIONNISME
Les facteurs favorisant la participation électorale
La charge symbolique des cérémonies électorales
Le droit de vote est généralement – bien qu'inégalement – perçu comme une conquête. Des hommes et des femmes ont sacrifié leur vie pour l'obtenir et le transmettre. Il symbolise l'appartenance et l'adhésion à la communauté nationale (Sophie Duchesne) et distingue traditionnellement le citoyen de l'étranger. Voter, c'est donc aussi manifester son intérêt pour son pays. Les élections sont par ailleurs considérées comme la clé de voûte des institutions démocratiques. Par ce moyen, les citoyens peuvent exprimer et faire prévaloir des opinions et des attentes. Ils sont censés disposer d'un pouvoir de désignation et de contrôle des élus et d'une influence sur les décisions des gouvernants. Le droit de vote distingue ainsi le citoyen du sujet puisque, en l'exerçant, le premier consent à l'exercice de l'autorité alors que le second ne peut que le subir. Les procédures électorales sont aussi considérées comme des moyens légitimes de régler pacifiquement les conflits. La participation électorale renforce enfin la légitimité interne mais aussi internationale de l'État et de ses dirigeants.
Pour toutes ces raisons, l'acte de vote est hautement valorisé, au moins du point de vue des principes officiels les plus révérés. Les élections sont une importante cérémonie civique, nationale et démocratique à laquelle beaucoup de citoyens pensent qu'il est difficile de ne pas participer, même quand ils sont faiblement concernés par ses enjeux politiques. Les jours d'élection sortent de l'ordinaire par leurs aspects festifs et parfois cathartiques (libération des passions et conjuration des crises). Ce sont également des occasions de déplacement et de réjouissances. Les scrutins sont des formes de célébration et de communion nationale, patriotique, démocratique et civique. Ce sont aussi des cérémonies où les hiérarchies habituelles sont suspendues. On y voit des personnages importants accomplir leur devoir électoral « comme les simples citoyens », fait « insolite » que les médias ne manquent pas de le souligner.
L'importance de la participation est inculquée dans beaucoup de familles et elle est ou était enseignée dans les écoles (Yves Déloye). Beaucoup d'enfants en font confusément l'expérience quand ils remarquent la gravité et le sérieux de leurs parents lorsqu'ils prennent part aux rites étranges d'un jour extraordinaire. Pour nombre de citoyens, voter c'est rendre ce que l'on doit à la patrie, se comporter de manière civique, faire ce qu'on vous a appris et accomplir un devoir. La non-participation est décriée par une partie de la population comme une manifestation d'égoïsme, d'incivisme et d'étroitesse (cf. l'image du « pêcheur à la ligne »). L'abstention est une violation d'une norme, sanctionnée par des réactions diffuses (remarques critiques des entourages, mauvaise conscience des absents qui répugnent à avouer leur abstention, crainte d'être remarqué, de subir des reproches, voire des mesures de rétorsion).
Ces sentiments civiques sont encore assez largement partagés, d'autant plus que l'âge est plus élevé. La conception de la participation électorale comme obligation politique et démocratique augmente plutôt avec le niveau d'instruction. L'adhésion en pensée et en parole à ces principes normatifs officiels n'implique pas qu'ils soient toujours respectés en pratique. Divers indices suggèrent d'ailleurs que cette adhésion s'affaiblit. Mais les croyances dans la portée des élections ou dans l'obligation de participation sont assez fortes pour inciter certains électeurs à se déplacer. Cette dimension « rituelle » ou « cérémonielle » de la participation électorale est particulièrement visible[...]
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Écrit par
- Daniel GAXIE : professeur émérite à l'université Paris I-Panthéon Sorbonne
Classification
Médias
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