ABSTRAITS DE HANOVRE
Art abstrait et vie quotidienne
À l'exception de Jahns, les autres membres du groupe proposaient de transposer les principes de l'abstraction aux arts appliqués et à l'architecture. Aussi réalisaient-ils eux-mêmes les imprimés du groupe – cartes de membre, cartons d'invitation, papier à lettres, enveloppes, etc. –, tout en mettant leur savoir-faire au service de diverses entreprises. Schwitters invita les deux membres les plus actifs dans ce domaine, Domela et Vordemberge-Gildewart, à prendre part à la fondation, en 1928, du Ring neuer Werbegestalter (Cercle des nouveaux créateurs publicitaires), qui allait promouvoir la nouvelle typographie sur le plan international. L'implication de Vordemberge-Gildewart et de Nitzschke dans la réalisation de mobiliers et d'aménagements d'intérieur s'explique par leur formation commune à la Kunstgewerbeschule (école d'arts appliqués) de Hanovre. Le premier dessinait des meubles en bois, simples et rectilignes, se distinguant par l'emploi de bois précieux et par des décors abstraits en marqueterie. Nitzschke s'inscrivait dans l'esprit plus avant-gardiste des recherches faites au Bauhaus en imaginant une ligne très élégante et personnelle de mobilier en acier tubulaire (Chaise en acier tubulaire, vers 1930). Architecte également, domaine dans lequel il fut le plus actif, Nitzschke se rallia au Style international par ses projets et réalisations – des maisons particulières, des espaces commerciaux, des bureaux, pour la plupart détruits ou rendus méconnaissables par des transformations successives. Un tel choix n'avait rien d'évident à Hanovre et dans ses environs, où prévalait le style de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité). Ce style « modérément moderne » entendait répondre, en particulier dans les lotissements, aux besoins fonctionnels et hygiéniques de la vie contemporaine tout en conservant des éléments traditionnels tels que la brique, les fenêtres à carreaux, le toit en pente et l'ornement. C'est à ce niveau que Nitzschke comme Vordemberge-Gildewart intervinrent, proposant des reliefs architecturaux qui rompaient, par la technique et par le style, avec le passé. En céramique ou en béton architectural, leurs reliefs alliaient généralement des motifs abstraits et des motifs figuratifs fortement stylisés, mais Vordemberge en réalisa certains totalement abstraits, inspirés directement de ses recherches picturales – les jeux d'ombres et de lumière se substituant aux couleurs (Relief abstrait, façade d'une maison située Halkettstrasse à Hanovre, 1928). Ces créations donnent un cachet très particulier à la ville de Hanovre et perpétuent dans la vie quotidienne la mémoire du groupe.
Les activités des « abstraits de Hanovre » prirent officiellement fin le 31 mars 1935, mais depuis le début des années 1930 et la montée du national-socialisme, elles étaient en net déclin. Néanmoins, les artistes continuèrent à travailler, Schwitters et Vordemberge-Gildewart s'exilant, le premier en Norvège puis en Grande-Bretagne, le second aux Pays-Bas, Buchheister, Jahns et Nitzschke restant en Allemagne. Et si la guerre devait faucher Nitzschke en 1944, Jahns persévéra, seul, en assouplissant son style, Schwitters continua d'évoluer à l'intérieur de la logique Merz jusqu'à sa mort à Amblesite (Lake District) en 1948, Vordemberge-Gildewart se rapprocha de l'Art concret et enseigna à partir de 1954 à la célèbre Hochschule für Gestaltung à Ulm, enfin Buchheister devint dans l'Allemagne de l'après-guerre l'un des tenants de l'art informel.
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Écrit par
- Isabelle EWIG : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
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BUCHHEISTER CARL (1890-1964)
- Écrit par Lionel RICHARD
- 1 053 mots
Carl Buchheister est né le 17 octobre 1890 à Hanovre, où ses parents avaient une boutique d'artisans. Après avoir obtenu son baccalauréat en 1910, il trouve un travail temporaire dans une maison de commerce de Brême. Voulant alors apprendre à dessiner, il suit dans cette ville des cours municipaux...