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ABSURDISTES DANOIS

Le meilleur, peut-être, de ce que les lettres danoises ont donné depuis la dernière guerre revient à trois écrivains qui n'ont jamais constitué une école mais que l'on regroupe, en raison de la parenté de leur inspiration, sous la dénomination d'« absurdistes ». Ils se situent évidemment dans le sillage d'Ionesco, Beckett ou Adamov, mais ils ont su donner aux thèmes favoris de ces écrivains une coloration bien personnelle. Il s'agit de Leif Panduro (1923-1977), Peter Seeberg (né en 1925) et Villy Sørensen (né en 1929). Ce dernier est probablement le plus représentatif de cette tendance. Philosophe, puis rédacteur de la revue d'avant-garde Vindrosen (1959-1963) qui décidera, un temps, des destinées littéraires du Danemark, il sera longtemps le directeur de conscience des lettres de son pays qu'il guidera par de nombreux ouvrages (Poèmes et démons, 1959 ; Ni...ni, 1963, dont le titre parodie manifestement Kierkegaard ; ou un essai remarqué sur Kafka, 1968). Il nous intéresse surtout par ses recueils de nouvelles « absurdes » (Histoires particulières, 1953 ; Histoires anodines, 1955 ; Contes de tutelle, 1964), ou par des essais de caractère politique (Révolte du Centre, 1978) ou mythologique (Ragnarøk, 1980) dont le propos faussement ingénu est de débiter des histoires « hénaurmes », eût dit Flaubert, en se donnant toutes les apparences de la gentillesse à la H. C. Andersen ou de la gravité kierkegaardienne. Un fond « kafkaïen » finit toutefois par imposer le sérieux du propos, qui est de ruiner toutes nos certitudes de l'intérieur, par une ironie apparemment sans prétentions. Projet qui préside lui aussi aux romans de Leif Panduro (Au diable les traditions, 1958, ou Les Amateurs, 1972) qui s'en prennent à la société bourgeoise pour montrer qu'elle n'aime rien tant que d'être l'objet d'une satire qui viendra faire écran entre sa lucidité et l'image qu'elle entend donner d'elle-même, en laissant finalement intacte sa bonne conscience. Le ton demeure ici toujours aussi doux, aussi inoffensif en apparence que chez Sørensen. Et que chez Peter Seeberg, peut-être le plus doué des trois (Les Personnages secondaires, 1956 ; L'Enquête, 1962 ; Bergers, 1970). La logique dont nous sommes si fiers y est ruinée en partant de ses propres prémisses, dans des histoires sans véritable « sujet », « personnages » ni « intrigue », et au prix de perpétuels jeux sur les truismes, de grossissements de détails superfétatoires et, surtout, d'une technique éprouvée qui consiste à prendre le langage à ses propres pièges.

Ces trois écrivains nous montrent que la vie a une logique propre, que la vérité humaine repose sur une ambiguïté fondamentale que n'épuise que notre douloureux et chaleureux vouloir-vivre, mais certainement pas nos prétentions grotesques, bavardes et tout de suite caduques à l'intelligibilité.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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    Il convient d'abord de faire une place à part à ce qui est sans doute l'apport majeur des lettres danoises à la littérature mondiale à l'heure actuelle : il s'agit de l'école des auteurs de nouvelles dites absurdistes. Elle doit beaucoup à Kierkegaard, mais aussi à Heidegger et à Kafka. Il s'agit de...