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ABŪ L-FARADJ ‘ALĪ AL-IṢFAHĀNĪ (897-967)

De son nom ‘Ali ibn al-Ḥusayn, un des plus célèbres humanistes arabes du xe siècle, né à Ispahan, mort à Bagdad. Ses études dans cette ville portèrent à la fois sur les sciences religieuses et sur ce vaste domaine nommé adab qui recouvre à la fois la littérature, l'histoire, la géographie et même la musicologie. Une grande partie de sa vie s'écoula en voyages dans le Proche-Orient ; il fit un long séjour à Alep auprès du prince mécène Sayf al-Dawla, puis il revint se fixer à Bagdad où il jouit d'un grand renom à la cour des Būyides et où il mourut entouré d'un rare prestige dû à sa science. Il était de confession shī‘ite.

De son œuvre, pour la plus grande partie historiographique, subsiste un ouvrage prestigieux, le Kitāb al-Aġānī ou Livre des chansons. Ce titre, plusieurs fois utilisé avant Abū l-Faradj, s'explique par le fait qu'au départ figure l'étude de cent poèmes chantés, constitués en recueil sur l'ordre du calife Hārūn al-Rachīd et définitivement colligés sous l'un de ses successeurs, al-Wātiq. Dès le début, Abū l-Faradj signifie toutefois que son propos est bien plus vaste. Et, de fait, le Livre des chansons renferme à la fois des précisions sur les modes utilisés par les compositeurs de mélodies et aussi des biographies sur les cantors, sur les mécènes et sur les poètes à qui sont attribués les vers mis en musique. Quand il l'a jugé utile, l'auteur a inséré dans ces données des narrationes sur les circonstances qui avaient inspiré les poèmes cités. Au surplus, Abū l-Faradj dépasse la simple érudition accumulative : il est préoccupé de confronter et de discuter ses matériaux tout autant que de les rassembler ; il travaille certes à la limite de l'histoire, mais, moins que personne, il ignore qu'il manie des données discutables qu'il faut étayer de garanties. Ses récits sont donc toujours précédés d'une « chaîne de garants » en sorte que sa méthode se confond avec celle des « traditionnistes » rapportant les données historico-biographiques sur le prophète Mahomet et sur les grands ancêtres de l'islam.

Le Livre des chansons nous apparaît comme une manière d'encyclopédie où sont rassemblées les données d'une exceptionnelle valeur d'évocation sur la vie intellectuelle des grands nomades du désert arabique avant l'islam, sur la cour poétique de Hīra en basse Babylonie, sur le milieu hadjazien au viie siècle, sur l'épanouissement de la culture littéraire en Iraq au cours des deux siècles suivants. Mais là n'est pas seulement l'incomparable intérêt de cette encyclopédie historique et littéraire. Le Livre des chansons, en effet, nous conserve d'innombrables extraits d'auteurs antérieurs à Abū l-Faradj et des spécimens de récits oraux ou écrits remontant au début de la prose littéraire des Arabes. Sans Abū l-Faradj, nous ne saurions presque plus rien de logographes du début du ixe siècle comme al-Haytam ibn ‘Adi, Ibn al-Kalbi ou al-Madā‘in et de bien d'autres qui sont à l'origine de la culture philologique et littéraire en arabe.

Abū l-Faradj a donc été, pour l'Orient arabe, un humaniste au sens où l'entendait notre Renaissance : il a su, en effet, conserver et transmettre les vestiges d'une culture menacée par le temps et présenter aux générations à venir le meilleur et le plus caractéristique de cette culture. Il a réalisé son dessein en empruntant la voie tracée avant lui par al-Ǧāhiz.

— Régis BLACHÈRE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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