ABŪ L-FIDĀ (1273-1331)
Issu de la dynastie kurde des Ayyūbides fondée par Saladin, Abū l-Fidā naquit à Damas où son père s'était réfugié pour fuir l'invasion des Mongols. Hamat, aux pieds de l'Anti-Liban, sur le territoire de l'antique Coelo-Syrie, était depuis cinq générations le fief de sa famille. Il en devint le prince à partir de 1340 (710 de l'hégire), en vertu d'une investiture du sultan d'Égypte dont il ne cessa jamais d'être le lieutenant et le courtisan.
La vie d'Abū l-Fidā n'est donc pas, dans ces circonstances, celle d'un lettré totalement étranger aux préoccupations du jour.
De plus, la politique de sa principauté de Hamat, dont il tient minutieusement le registre, l'oriente vers une œuvre considérable : la rédaction d'Annales universelles. Ces dernières, surtout dans les premiers chapitres consacrés à l'histoire anté-islamique, s'appuient bien davantage sur des essais de chronologie inspirés des livres anciens, chrétiens ou des calculs de l'astronome al-Birūnī que sur les récits légendaires des Arabes et sur les données coraniques. Son désir de renouer avec le passé et peut-être aussi le souvenir de ses trois pèlerinages lui firent écrire une Vie du Prophète : notre auteur y défend avec modération les thèses de l'orthodoxie musulmane illustrées par le rite šāfi‘ite auquel il appartient.
Abū l-Fidā fut également un des derniers géographes arabes à mériter l'estime universelle. S'il ne renonce pas à suivre dans son ouvrage Ptolémée et Albumasar, il se montre fort au courant des événements de son époque et aurait pu en dresser la carte politique. Passionné de chronologie et d'observations rigoureuses, ce novateur eût été capable, sans son respect pour une longue tradition littéraire, d'audaces plus grandes encore.
Abū l-Fidā fut très tôt compris et goûté en Occident. Au xviie siècle, il alimente tour à tour la polémique anti-islamique d'un Marracci et les querelles christologiques qui opposent catholiques et protestants (le maronite Abraham Echellensis contre le pasteur et orientaliste zwinglerin Hottinger). Le xviiie siècle des libertins et des philosophes lui fit un accueil encore plus enthousiaste. Abū l-Fidā, avec sa chronologie rigoureuse et sa vision un peu laïque de l'histoire, devient un prétexte à luttes contre l'« infâme ». Le xixe siècle, amateur avant tout de couleur locale, s'en tiendra à des études plus solides et plus spécialisées. La découverte de sources arabes anciennes (commentaire coranique de Baydāwī, diverses biographies du Prophète, la monumentale histoire de Tabarī) fit bientôt perdre à Abū l-Fidā une partie de son crédit auprès des spécialistes. Son nom, malgré tant de vicissitudes, n'en demeure pas moins l'emblème d'un accord assez rare entre deux civilisations trop souvent ennemies. (Consulter J. T. Reinaud, La Géographie d'Abū l-Fidā, 1848.)
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Écrit par
- Jean-C. VADET : agrégé de l'Université, attaché de recherche au C.N.R.S.
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