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ABŪ NUWĀS (entre 747 et 762-env. 815)

Une créativité rebelle

Son génie s'est immédiatement imposé et le jugement des contemporains n'a cessé d'être confirmé depuis treize siècles. Ce consensus des époques trouve sa raison d'être dans la qualité d'une poésie aux facettes multiples, mais animée par une même inspiration et fruit d'un même talent. Il fait référence aussi à la nature d'un personnage et à l'exceptionnelle situation historique de son œuvre.

Depuis l'avènement de l'Islam, la poésie arabe fut travaillée par une double contrainte qui la mena vers le classicisme. Celle exercée par les théoriciens d'abord : grammairiens, lexicographes, prosodistes recueillent la poésie ancienne, en fixent la langue et définissent peu à peu une esthétique. Celle ensuite qui s'exerce sur le statut et la fonction du poète dans la société. Le grand poème d'apparat dédié à un haut personnage fixe et illustre les canons d'un art. Cette réglementation vise, en fait, à instaurer l'hégémonie d'un genre, en définitive à imposer un type d'écriture. Le genre est celui du panégyrique qui fait l'objet de poèmes de plus en plus longs, nécessitant une organisation interne minutieuse. Ce principe de cohésion entraîne des dispositions d'écriture qui régissent le lexique, la syntaxe et la composition thématique. Le poète qui ne réussit pas dans ce difficile exercice de style est tenu pour mineur.

D'où l'importance d'Abū Nuwās. Il fait justement partie de la dernière génération de poètes qui ne se sont pas pliés aux injonctions de l'académisme. Successeur de Baššār b. Burd, il fait triompher le poème bachique, le chant érotique, la composition animalière au même moment où Al-‘Abbās b. al-Aḥnaf se consacre au langage de l'amour courtois et Abū l-‘Atāhiya à la méditation sapientiale.

Poèmes bachiques et érotiques doivent être saisis dans la même analyse. Abū Nuwās y recueille une vieille tradition qui remonte à la période pré-islamique et n'a cessé de se manifester depuis. Mais il lui donne un éclat et une force incomparables. La ẖamriyya (poème bachique) devient chez lui un genre : ses descriptions des vins, des commensaux, des échansons, des chanteuses seront tenues pour des modèles et appelleront l'imitation durant des siècles. Ce sont des tableaux vifs et précis qui allient la vérité du trait à la finesse des images et à la simplicité de la langue. Érotisme et bachisme s'y mêlent étroitement et l'alliage n'est pas toujours du meilleur goût : Abū Nuwās est un héritier des libertins de Koufa, disciple d'homosexuels célèbres, compagnon de beuveries mémorables qui pouvaient se dérouler aussi bien au palais califal que dans un monastère ou dans les jardins de la banlieue de Bagdad.

La poétique d'Abū Nuwās est reconnaissable entre toutes. La langue se tient à l'écart de l'archaïsme comme du formalisme qui trouvera, peu après, son expression la plus haute dans l'œuvre d'Abū Tammām. Elle sait puiser aux ressources du lexique sans tomber dans le piège de la littérature pour philologues. Elle exprime les sentiments avec vigueur et peint avec précision les situations, donnant ainsi au vécu un relief particulier. Car c'est, la plupart du temps, au niveau de la sensation qu'elle opère : les images sont concrètes, souvent vives et heureusement choisies. Abū Nuwās se sert, certes, sans complexe des trouvailles de ses prédécesseurs. Mais il affine, retravaille une matière qui, en poésie arabe, relève finalement d'une création collective échelonnée sur des générations de poètes.

Le poème s'organise librement. La plupart du temps bref, il entrecroise ses motifs, virevolte de l'éphèbe à la femme, de la coupe aux fleurs, du blasphème au repentir, de la satire à l'amitié, toujours avec un[...]

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  • ARABE (MONDE) - Littérature

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    • 29 245 mots
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    ...personnage de bohème sympathique et peu recommandable. La voie tracée allait être parcourue par les œuvres du calife al-Walīd b. Yazīd, d'Abū l-Hindī, de Muslim b. al-Walīd et enfind'Abū Nuwās dont le génie rassemble et magnifie les traits d'une production bachique unique dans la littérature universelle.
  • ÉROTISME

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    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...crûment évocateurs de situations orgiaques. Plus d'un siècle après, sous le règne d'Haroun-al-Rashid, fastueux calife de Bagdad, le prince des poètes sera Abū Nuwās (env. 762-815), tantôt bien en cour, tantôt emprisonné pour son impiété. Puis, après une période où règnera au Caire une extrême licence,...