ABUS DE BIENS SOCIAUX
Introduite dans la législation française par un décret-loi du 8 août 1935, l’infraction d'abus de biens sociaux est une infraction pénale spécifique du droit des sociétés. Sa définition fut reprise à l'identique dans la loi du 24 juillet 1966 qui refondit le régi me des sociétés commerciales. L'article 437-3 qui l'expose, à côté des délits de répartition de dividendes fictifs, de présentation ou de publication de comptes inexacts, et enfin d'abus des pouvoirs ou des voix, lui doit une large part de sa réputation auprès des dirigeants d'entreprises. Aux termes de cet article (devenu l'article 241-3 du Code de commerce), l'abus de biens sociaux est constitué lorsque les dirigeants d'une société anonyme ont fait, de mauvaise foi, un usage des biens ou du crédit de la société qu'ils savaient contraire à son intérêt, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement. Par la gravité des peines encourues – un emprisonnement de cinq ans et/ou une amende de 375 000 euros –, cette infraction entre dans la catégorie des délits.
Avec la répartition de dividendes fictifs et l'abus des pouvoirs, l'abus des biens ou du crédit de la société, appelé plus communément abus de biens sociaux, est au cœur du dispositif répressif en matière de droit des sociétés. Ces trois incriminations sanctionnent en effet la violation d'un même principe fondamental de ce droit, qui oblige à distinguer entre l'intérêt de la société, considérée en tant que personne morale indépendante, et l'intérêt de ses dirigeants, personnes physiques. Tout comme dans le cas de distribution de dividendes fictifs, c'est plus précisément la lésion de l'intérêt patrimonial de la société qui est visée par l'abus de biens sociaux. Celui-ci n'est rien d'autre au fond qu'une forme particulière de vol, propre à ces personnes morales que sont les sociétés anonymes à responsabilité limitée ou par actions.
L’origine de ce délit est à rechercher dans l'évolution du droit des sociétés. Dans le régime des sociétés commerciales tel qu'il avait été conçu par la loi du 24 juillet 1867, il n'était pas apparu utile au législateur de réprimer par un délit spécial le détournement des biens de la société par ses mandataires. Ces derniers étant investi d'un mandat général d'administrer la société dans l'intérêt de celle-ci, ils pouvaient être amenés par les associés à répondre pénalement de leurs agissements en cas de violation de ce mandat, constitutif d'un abus de confiance aux termes de l'article 408 ancien du Code pénal. Cette action reste d'ailleurs toujours possible grâce à l'article 314-1 du Nouveau Code pénal.
Une jurisprudence abondante avait précisé les multiples hypothèses où un mandataire social, régulièrement désigné ou exerçant de fait ces pouvoirs, détourne ou dissipe les biens sociaux, à son profit ou à celui de tiers. Au regard du principe d'interprétation stricte des lois pénales, cette jurisprudence extensive de la chambre criminelle de la Cour de cassation avait exploité au maximum les possibilités d'application de l'article 408. Elle ne parvenait pas cependant à réprimer toutes les atteintes portées à l'intérêt social. Lui échappaient en particulier les détournements des biens immeubles et les atteintes au crédit de la société. Ces lacunes furent comblées par le décret-loi de 1935.
Après la Seconde Guerre mondiale, la nécessité apparaît de rééquilibrer les pouvoirs au sein même des sociétés, entraînées dans un mouvement accéléré de concentration économique. Il s'agit de contrebalancer la montée en puissance des dirigeants face au pouvoir purement légal des [...]
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Écrit par
- Christian HERMANSEN : éditeur à l'Encyclopædia Universalis
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