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ABZYMES

Le concept d'anticorps catalytique, ou abzyme (contraction d’antibodyet enzyme), fut énoncé dès les années 1940 par Linus Pauling. S’appuyant sur le fait que la réaction chimique de transformation d'une molécule en une autre passe par un état de transition, qui représente une barrière énergétique à franchir, Pauling suggéra qu'une enzyme, pour favoriser une réaction, abaisse cette barrière énergétique en stabilisant préférentiellement l'état de transition de la réaction plutôt que la molécule de substrat. Par opposition, un anticorps stabilise la même molécule dans son état énergétique de base. Linus Pauling émit en 1942 l'idée totalement novatrice que l'obtention d'un anticorps dirigé contre l'état de transition d'une réaction plutôt que contre le substrat permettrait la préparation d'anticorps porteurs d'une activité catalytique. De tels anticorps devaient exister parmi la quasi infinie diversité de ces molécules. Cependant, comme ces états de transition ont une durée de vie extrêmement courte, de l'ordre de la picoseconde, il était exclu de vérifier l’hypothèse de Pauling en induisant une réponse immunitaire spécifique de ces états. William Jencks proposa au cours des années 1970 de combiner la chimie organique à l’immunologie et d'utiliser comme antigènes des molécules stables mimant la structure de l'état de transition d'une réaction enzymatique – des analogues d'états de transition. Il fallut cependant attendre les travaux de César Milstein et Georges Köhler et la mise au point de la production des anticorps monoclonaux en 1975 pour que l’hypothèse soit confirmée avec la production des premiers anticorps catalytiques ou abzymes.

Méthodes de production des abzymes

Les premières abzymes obtenues en utilisant comme antigène des analogues d'états de transition furent décrites simultanément, en 1986, par les équipes américaines de Richard Lerner et de Peter Schultz. Ces abzymes catalysaient l'hydrolyse de liaisons chimiques simples, esters carboxyliques et carbonates. Depuis lors, de très nombreuses abzymes ont été produites, catalysant des réactions très diverses d'hydrolyse (de liaisons ester, carbonate, amide ou glycosidiques), de formation de liaisons (amide ou imine), d'isomérisation ou encore des réactions pour lesquelles aucun catalyseur biologique n'était connu, comme la réaction chimique de Diels-Alder, une réaction de condensation à la base de la chimie des polymères utilisés en robotique souple.

Une autre voie de genèse d'abzymes, entièrement biologique et complémentaire de celle qui utilise les analogues d'états de transition, consiste à faire effectuer par un anticorps une copie plus ou moins fidèle de la structure du site actif d'une enzyme, en utilisant les propriétés du réseau idiotypique décrit par Jacques Oudin vers 1960. Il est possible d'obtenir un premier anticorps, dirigé contre le site actif d'une enzyme. Cet anticorps représente une « image négative », complémentaire de la structure du site actif de l'enzyme. À partir de cet anticorps, un second anticorps complémentaire du site de reconnaissance du premier (l'anti-idiotype) peut être sélectionné. C'est l'« image positive » du site actif de l'enzyme modèle, d'où une activité catalytique plus ou moins proche de celle de l'enzyme modèle. De tels anticorps possèdent une activité hydrolytique significative souvent supérieure à celle obtenue par la méthode précédente.

La recherche biotechnologique tire profit, depuis les années 2010, surtout de la mise au point de bibliothèques de bactériophages capables d’exprimer des millions d’anticorps monoclonaux, banques établies à partir de cellules lymphoïdes de presque n’importe quel animal. On peut sélectionner in[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur de l'université technique de Compiègne
  • : docteur d'État, chargé de recherche au C.N.R.S.
  • : docteur ès sciences
  • : professeur à l'université de technologie de Compiègne, directeur de l'U.M.R. 6022 du C.N.R.S., président de la section biochimie et biologie moléculaire du Conseil national des universités
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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