ACADÉMIES
Triomphe et déclin
Cette incontestable réussite ne fut pas éphémère, et marqua profondément toute la peinture française du xviiie siècle, époque ou l'Académie exerça quasiment un monopole non seulement sur la « grande » peinture – dont on établit les règles au cours des conférences et dans les nombreux écrits qui se mirent à paraître sur le sujet – mais également sur des genres plus marginaux, représentés notamment par Watteau ou Chardin qui, formés ailleurs, ne tardèrent pas à s'y faire admettre. Il faut dire que, en l'absence de tout numerus clausus, l'appartenance à l'académie n'exigeait guère que la fourniture d'un morceau de réception, pas forcément représentatif de la manière habituelle du peintre ; elle permettait, en contre-partie, une carrière fonctionnalisée, organisée de poste en poste (professeur et, pour les peintres d'histoire exclusivement, « officier »), ainsi qu'une position avantageuse sur le marché des commandes d'État ainsi que des amateurs privés. Ceux-ci en effet se multipliaient, qu'ils fussent collectionneurs, commanditaires ou simples connaisseurs. Ces derniers apparurent avec les salons, organisés régulièrement à partir du début du xviiie siècle, et qui avaient notamment pour fonction de compenser l'interdiction d'exposer en boutiques, que les artistes s'étaient imposés dans les premiers statuts de l'académie afin de marquer la rupture avec l'univers artisanal et commercial. Ces salons, longtemps réservés aux seuls académiciens, entraînèrent l'apparition d'une forme particulière de littérature artistique : la critique d'art, dont Lafont de Saint-Yenne fut le premier représentant et Diderot, le plus illustre.
Ce grand règne de l'académie n'alla pourtant pas sans conflits. Ainsi, le développement du marché privé des amateurs entraîna une vogue des genres considérés comme mineurs (le paysage, la scène de genre, la nature morte, et, particulièrement prisé, le portrait), qui engendra à son tour une réaction des défenseurs de la peinture d'histoire, directement subordonnée au marché prestigieux mais fragile des commandes d'État. Or cette domination de la peinture d'histoire, inséparable de l'esthétique académique, n'était elle-même qu'une séquence de la subordination aux références littéraires (les tableaux d'« histoire » ayant en commun de s'appuyer sur un texte), qui dans la première génération académique ne tardèrent pas à supplanter – autre conflit – les références mathématiques et, plus généralement, scientifiques (observance des règles anatomiques et, surtout, perspectives). Cette prégnance du littéraire n'est sans doute pas non plus étrangère à la lutte qui opposa, vers la fin du xviie siècle, les partisans du dessin (représenté par Poussin) aux partisans de la couleur (représentée par Rubens) qui prônaient des critères de perception et d'évaluation plus spécifiquement plastiques.
L'académie, quoi qu'il en soit, cumulait les instruments de prestige qui en faisaient une institution d'État et d'élite tout à la fois. C'est sans doute ce qui lui valut sa suppression par la Convention, tout comme sa reconstitution quasi immédiate, en 1795, sous une forme quelque peu différente, celle de l'« institut », dont peinture et sculpture occupèrent, avec les belles-lettres, la troisième classe, jusqu'en 1803, date où les beaux-arts conquirent leur autonomie dans une classe séparée. Mais ces transformations nominales s'accompagnèrent d'une réforme structurelle importante : l'instauration, comme à l'Académie française, d'un numerus clausus, entraînant une forte sélection des membres et une élévation de leur âge. Ce durcissement des frontières à l'entrée, qui[...]
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Écrit par
- Nathalie HEINICH : sociologue, directeur de recherche au C.N.R.S.
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