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ACCAPAREURS

La question des subsistances a joué un rôle essentiel dans la mobilisation des masses populaires qui, par l'insurrection, ont donné à la Révolution un nouvel élan à chaque fois qu'elle semblait dans l'impasse, le 14 juillet et le 5 octobre 1789, le 20 juin et le 10 août 1792. À chaque fois, le peuple des faubourgs s'est soulevé pour briser les tentatives des contre-révolutionnaires « qui voulaient l'affamer ».

Certes il y eut plusieurs responsables de la pénurie et de la hausse des prix : la désorganisation des services de la lieutenance générale de police, de mauvaises récoltes, les paiements en assignats qui n'inspirèrent jamais la même confiance que les espèces sonnantes et trébuchantes. Mais, dans la mentalité populaire, les responsables sont d'abord les « accapareurs », ceux qui entassent les produits de consommation et les conservent par devers eux pour réaliser des profits considérables par suite de la raréfaction des denrées et donc de leur hausse. Les marchands sont les ennemis naturels des sans-culottes.

Les réclamations populaires contre les marchands constituent un des aspects les plus intéressants de l'histoire du gouvernement révolutionnaire : les masses populaires ont voulu imposer au gouvernement montagnard une économie dirigée qui lui répugnait.

La loi sur l'accaparement fut votée le 26 juillet 1793 en pleine crise révolutionnaire, une dizaine de jours après l'assassinat de Marat. En fait, il s'agit d'un subterfuge des députés montagnards qui, refusant encore la taxation, trouvèrent une échappatoire en édictant de lourdes peines contre les accapareurs : la peine de mort pour les commerçants qui ne feraient pas la déclaration de leur stock de denrées de première nécessité et ne l'afficheraient pas à leur porte. Le contrôle devait être amorcé par les commissaires aux accaparements des sections. En réalité, la loi, mal appliquée, ne fut qu'une satisfaction symbolique donnée aux sans-culottes. La poussée populaire, qui se poursuit, aboutit aux journées des 4 et 5 septembre 1793 : la foule envahit l'Assemblée nationale et arrache la promesse d'une taxation générale. Le 11 septembre, c'était le maximum national des grains et des farines, le 29, le maximum général des prix et des salaires. Dans le même temps, on décidait la création d'une armée révolutionnaire de 6 000 hommes et de 1 200 canonniers, chargée d'assurer les réquisitions de grains dans les campagnes et leur transport vers Paris.

En fait, ces mesures ne furent pas très efficaces, car leur application fut laissée à la discrétion des municipalités et des sections, pleines de zèle, mais souvent sans grande compétence. Les opérations contre les accapareurs ne sont que des mesures de détail (saisie occasionnelle d'un stock de cire ou d'une charrette d'œufs), mais on ne parvient à imposer ni la déclaration des stocks ni le respect du maximum.

En réalité, le gouvernement révolutionnaire, dans son ensemble, est hostile à l'économie dirigée qu'il n'entend imposer que pour la guerre et l'approvisionnement des armées. Quand la pression des « exagérés » deviendra intolérable, elle sera brisée par l'exécution des Cordeliers et d'Hébert le 4 germinal an II (24 mars 1794). Dès le 12 germinal suivant, les commissaires aux accaparements sont supprimés dans le souci de rallier à la Révolution producteurs, cultivateurs et artisans. L'échec de la taxation et de la réquisition contribua beaucoup à détacher de la Révolution les masses populaires.

— Jean DÉRENS

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Écrit par

  • : archiviste-paléographe, bibliothécaire à la bibliothèque historique de la Ville de Paris

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