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ACCOMPAGNEMENT MUSICAL

Harmonie et basse chiffrée

Du jour où l'harmonie se détache du contrepoint pour assumer son propre rôle dans le discours musical, l'accompagnement, au sens moderne du terme, commence d'exister. Et il est curieux de constater que l'on passe d'un extrême à l'autre. Autant le contrepoint accordait d'importance au déroulement de toutes les parties du discours, autant l'époque dite « harmonique » va, pour ainsi dire, négliger tout ce qui ne sera pas la mélodie. En effet, par une sorte de paradoxe, l'âge d'or de l'harmonie traitera cette dernière comme une parente pauvre.

On sait que tout accord, se composant par exemple de trois notes, possède la même dénomination, quelle que soit la disposition des notes par rapport à la basse. Qu'on écrive en effet, en partant du bas, do-mi-sol ou do-sol-mi, il s'agit toujours du même accord parfait. Si l'on ajoute que, épris de classification, les harmonistes se sont ingéniés à « chiffrer » tous les accords, c'est-à-dire à les désigner commodément par des chiffres, on verra que, alors que le contrapontiste mettait une importance majeure dans la disposition des parties au-dessus de la basse, l'harmoniste aura la faiblesse de ne considérer que la « nature » de l'accord. Peu importe dès lors que le mi soit au-dessus ou au-dessous du sol : l'essentiel, c'est que l'accord soit respecté.

Cette façon de considérer l'écriture harmonique, dans sa théorie plus que dans son application pratique, va faire naître une étrange coutume, qui tiendra bon pendant trois siècles. Ce sera l'habitude que prendront les compositeurs de ne noter, sous la mélodie, que la basse, et de n'indiquer les parties intermédiaires que par le chiffrage de l'accord choisi. C'est assurément la pratique de la musique instrumentale qui rendit plausible cette manière d'agir, exactement de la même manière que, de nos jours, les guitaristes ou les accordéonistes de variétés sont accoutumés à jouer des accords simplement chiffrés.

Mais ce qui est acceptable dans le domaine de la simple chanson devient troublant lorsqu'il s'agit de styles plus nobles ou plus sévères. Pourtant, le xviie et le xviiie siècle n'ont connu, en grande partie, que des accompagnements chiffrés. Il fallait, dès lors, au moment de l'exécution, transcrire pour le ou les instruments la volonté chiffrée du compositeur : cela laissait évidemment à l'interprète une très grande liberté. Cette liberté fut, bien entendu, codifiée ; des « modes d'emploi », différents suivant les écoles, furent mis au point afin de faciliter le travail des interprètes. C'est ainsi qu'en Italie les clavecinistes n'avaient droit qu'à deux notes à la main droite et qu'en France les mêmes interprètes avaient la possibilité d'en utiliser trois. Cette transcription du dernier moment, qui laissait une très grande part à l'imagination de l'instrumentiste, pour ne pas dire à l'improvisation, s'appelait la «  réalisation ». À cette époque où le style musical était pratiquement le même pour tous les compositeurs, où la langue était identique pour tous, les interprètes avaient une grande habitude de cette gymnastique ; automatiquement, leurs doigts trouvaient sur le clavier les accords correspondant aux chiffrages indiqués par les auteurs ; et leur bon goût – ou leur mauvais goût – était seul responsable de la disposition définitive des notes, c'est-à-dire de ce qu'entendait l'auditeur.

De nos jours, les interprètes n'ont plus ce talent, sauf exception ; il a donc fallu que des « réalisateurs » écrivent la transcription définitive de toutes les œuvres des xviie et xviiie siècles, afin d'en permettre l'exécution par nos contemporains. Depuis quelques années[...]

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Écrit par

  • : directeur de l'École normale de musique de Paris, critique musical, directeur musical à R.T.L.

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