ACCOMPAGNEMENT MUSICAL
Accompagnement et composition
Il était plus que normal qu'une réaction se produisît. Elle eut lieu dès la fin du xviiie siècle, au moment où les compositeurs prirent conscience que les interprètes les trahissaient trop souvent au point de vue de l'« étagement harmonique ». Le même phénomène allait d'ailleurs se renouveler quelques dizaines d'années plus tard, lorsque Rossini, irrité des libertés que prenaient les cantatrices dans les cadences laissées jusque-là à leur improvisation, se mit à en écrire toutes les notes... C'est, bien entendu, l'écriture orchestrale qui, la première, bénéficia des soins des compositeurs. Découvrant les joies et les richesses de l'instrumentation, ces derniers se refusèrent à laisser à des exécutants le soin de déterminer l'accomplissement sonore de leurs partitions ; continuant toujours à laisser la bride sur le cou aux instrumentistes à clavier, ils se mirent à étendre leurs recherches instrumentales dans le domaine de l'orchestre ; le xviiie siècle tout entier est plein de joyeuses et merveilleuses découvertes sonores, qui sont à la base de notre orchestration moderne.
Pour que l'accompagnement au clavier prenne, lui aussi, le même tournant, il faudra attendre la fin du siècle. Passant d'abord par le stade de la réalisation exactement écrite par le compositeur, cet accompagnement va en arriver bientôt à une forme pour ainsi dire « personnalisée » ; le soutien du chant – ou de toute ligne mélodique instrumentale – va acquérir une originalité, une vie, un caractère propres. Après s'être contenté, pendant des siècles, de raffiner sur la simple ligne mélodique, le compositeur s'aperçoit qu'il peut également donner tous ses soins à cet « accompagnement » jusque-là négligé.
Cette évolution suit d'ailleurs à peu près exactement les progrès effectués dans le domaine de la facture des instruments ; le piano, succédant au clavecin, ouvre de nouveaux horizons aux musiciens. L'écriture pour clavier va aussitôt en profiter, et l'accompagnement va suivre presque immédiatement. Là est la raison véritable de la naissance de la mélodie et du lied. Dépassant le stade du simple chant accompagné tel qu'on le pratiquait au xviiie siècle, la mélodie requiert, en effet, une participation presque égale à celle du soutien harmonique. Ce dernier, d'ailleurs, demande désormais à être totalement précisé. En effet, pendant des siècles, la mélodie dite « classique » ne pouvait s'accommoder que d'un seul tissu harmonique : il n'y a, par exemple, qu'une seule manière légitime d'harmoniser Au clair de la lune. C'est ce qu'on appelle, dans les classes d'harmonie, la « bonne » harmonie. Du jour où les styles musicaux vont s'évader des limites trop strictes du langage tonal, les compositeurs ne pourront plus compter sur l'évidence de l'éventuel soutien harmonique. Il leur faudra écrire totalement leurs intentions. C'est ainsi que, vers le début du xixe siècle, naissent ensemble, des deux côtés du Rhin, le lied et la mélodie.
À ce tournant de l'évolution musicale, l'accompagnement voit son rôle changer quasi totalement. D'humble serviteur de la ligne mélodique, il devient acteur à part entière dans le discours musical. Son office conquiert une importance et une noblesse toutes neuves : le compositeur compte sur lui autant que sur la mélodie pour achever son œuvre.
On en arrive, dès lors, à notre époque, à une situation presque paradoxale : cet accompagnement, traité jadis avec condescendance par les compositeurs et laissé aux soins des ouvriers spécialisés qu'étaient les exécutants, prend désormais une importance majeure. Non seulement il rattrape, sur ce plan, la mélodie, mais il la dépasse. Sa complexité passe pour être une preuve[...]
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Écrit par
- PIERRE-PETIT : directeur de l'École normale de musique de Paris, critique musical, directeur musical à R.T.L.
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