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ARNIM ACHIM VON (1781-1831)

Le héros et la société

Seuls et incertains, vivant en exil, les héros d'Arnim restent aussi isolés dans leurs rapports avec les autres hommes : confusions et hallucinations marquent le retour du majorataire dans la ville ; Isabelle a un moment son double, un golem, pour rivale, et elle est entourée d'êtres étranges sortis du règne végétal ou de la légende ; Dolores se laisse séduire par son beau-frère sans le reconnaître ; la princesse croit longtemps, mais à tort, que Karl est épris d'elle et qu'elle a été réellement sa maîtresse. Ces exemples reviennent si fréquemment qu'au-delà de leur valeur individuelle c'est petit à petit l'ensemble de la société qui est ainsi mis en question. Il n'est que de songer aux Affinités électives de Goethe, avec lesquelles Arnim avait voulu rivaliser en écrivant Dolores, pour mesurer à quel point celui-ci innove. La société où jouent tragiquement les « affinités » reste stable, satisfaite d'elle-même, se complaisant à son propre spectacle. L'architecte y bâtit « pour l'éternité », mais Arnim se refuse à y croire, et il écrit à Bettina, sur un ton où le sérieux le dispute à l'humour : « Remercions Dieu et son serviteur Goethe de ce qu'une partie d'une époque sur son déclin est engrangée pour l'avenir en une représentation fidèle et détaillée. » Arnim, lui, voit la société de son temps, entre autres, par le truchement du long rêve de l'enfant Traugott, comme un champ clos où des forces contradictoires se livrent combat. Les unes conservent vivante la leçon des temps anciens et même légendaires, porteurs du message de foi et d'harmonie qui permettra aux générations futures d'envisager sans peur les transformations inévitables et de les instaurer sans rupture avec le passé. Les autres forces qui s'agitent au sein de la société actuelle sont celles qui refusent l'exemple du passé. Elles se montrent éprises de toutes les nouveautés et s'abandonnent dans la confusion la plus complète à une agitation stérile et destructrice. Il faut noter que les représentants de ces deux courants opposés se recrutent indifféremment, chez Arnim, à travers toutes les classes de la société. Dolores aussi bien que les Gardiens de la Couronne, Halle et Jérusalem, Melück Marie Blainville montrent la noblesse et tout le peuple avec elle, riches en figures positives ouvertes à l'avenir et conscientes de ce qu'elles doivent lui transmettre. Mais dans ces mêmes œuvres, on rencontre aussi, s'opposant aux précédentes et affectées comme d'un signe négatif, des silhouettes dont la conduite, les propos et les aventures grotesques, chez des gens qui se veulent tantôt naïfs, tantôt émancipés, offrent une caricature impitoyable, et féroce parfois, de la société : n'y voit-on pas deux princes, pour vider leurs querelles, lancer au combat une garnison de catins et un bataillon de musiciens ? Enfin, passant du négatif au positif, certains personnages, égarés d'abord par la séduction des idées nouvelles, reviennent ensuite à une vue plus juste de leurs tâches : le père de Dolores a cru faire fortune grâce à la loterie. Il est parti, ruiné, pour les Indes orientales et y a survécu en chassant le canard sauvage, nageant au milieu du fleuve avec la tête cachée dans une citrouille évidée. Quand il revient, assagi, en Allemagne, c'est pour se mettre comme Premier ministre au service de son souverain et assurer la prospérité de ses États. Son exemple, et bien d'autres encore, témoignent de la confiance qu'Arnim conservait, malgré le pessimisme que suscitait en lui le spectacle de son pays, dans les perspectives qu'ouvraient, au regard du voyant, les forces naissantes de son temps.

Quel bilan, bien entendu provisoire, peut-on établir de l'œuvre d'Arnim ? À part quelques[...]

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