ACQUISITION DU RÉCIT
Le récit est une forme de discours relatif à une séquence d’au moins deux événements ou actions réels ou fictifs qui sont généralement situés dans un cadre spatial et temporel. Il serait une forme universellement disponible ne nécessitant pas d’enseignement spécifique, au moins sous sa modalité orale.
Le récit apparaît après que les enfants ont acquis la production de mots puis d’énoncés incluant des noms et des verbes. Il se traduit par des enchaînements d’énoncés relatant des faits plus ou moins fortement reliés temporellement ou causalement et concernant au moins un personnage. Son évolution suit des étapes aux frontières difficiles à définir mais dont l’importance tient à leur caractère diagnostique pour la réussite académique ultérieure ou pour une orientation clinique. Cette évolution aboutit chez l’adulte à des formes rhétoriques décrites par plusieurs modèles qui s’accordent sur l’existence de catégories narratives – par exemple, orientation ou cadre, complication, évaluation, résolution, formule finale optionnelle (ou coda) – dont l’agencement suit des principes stricts descriptibles par des règles. Ces catégories et ces règles ont conduit certains chercheurs à concevoir des grammaires narratives.
La production et la compréhension des récits mobilisent trois dimensions :
– Tout d’abord interviennent des connaissances ayant trait aux environnements, aux événements et aux actions : des schémas ou des scripts. Il s’agit de déroulements stéréotypés prenant place dans un cadre précis et associés à un but, par exemple se rendre à la piscine, déjeuner au restaurant, fêter un anniversaire. Ils intègrent aussi les chaînes causales reliant les faits et les actions entre eux. Ils constituent une base de savoirs partagés par les interlocuteurs leur permettant une communication efficace. Tout déroulement ne suivant pas un décours usuel devient de ce fait objet potentiel de narration.
– Ensuite, les narrations prennent des formes rhétoriques variables d’une culture à une autre. La superstructure narrative correspond à un enchaînement particulier qui ne se réduit pas à la séquence des faits ou actions : ainsi, le placement d’un cadre en tête de récit correspond à une convention qui relève de contraintes pragmatiques. Elle ne peut s’acquérir que par l’exposition à un corpus d’expériences de narrations.
– Enfin, les connaissances linguistiques relatives aux mots et aux phrases ne suffisent pas à assurer la compréhension ou la production des récits. Les narrations exigent un suivi des personnages, des moments et des déplacements dans l’espace ainsi que des mises en relation causales dépendant des faits décrits mais aussi du (ou des) destinataire(s) et de ses connaissances préalables. Ces suivis s’établissent par le bais de marques spécifiques : déterminants, pronoms, connecteurs et, à l’écrit, signes de ponctuation. Leur acquisition et l’interprétation de leur fonctionnement nécessitent une exposition à des exemples.
L’évolution du traitement des récits dépend de celle de ces trois dimensions :
– L'acquisition et la mise en œuvre des scripts se révèlent précoces. Attestées à la période préverbale par l’imitation et l’organisation des actions (habiller une poupée), elles sont verbalisées : les enfants leur associent un but et un ordre de déroulement d’abord rigide puis plus flexible. Leur évolution suit un double mouvement : elles sont de plus en plus prototypiques et générales, mais aussi plus riches et précises. L’essentiel des connaissances les concernant semble en place à l’âge de six ans. Toutefois, la compréhension en lecture et la composition écrite entre six et dix ans révèlent que les performances correspondant à ces chaînes évoluent à nouveau et sans doute tout au long de la vie en fonction des lectures et des expériences vécues ou observées.[...]
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Écrit par
- Michel FAYOL : professeur émérite des Universités en psychologie du développement
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