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ACTES DE LANGAGE

La force illocutoire

La théorie des actes de langage mise en place par Austin a été reprise et développée par divers auteurs, au tout premier rang desquels figure John Searle, auteur d'un ouvrage paru en 1969, et traduit en français en 1972 sous le titre Les Actes de langage. Reprenant l'idée selon laquelle la production d'un énoncé revient à accomplir un certain acte qui vise à modifier la situation des interlocuteurs, Searle appelle force illocutoire ce qui permet d'établir sa valeur d'acte de langage. Pour lui, le contenu d'un énoncé résulte de sa force illocutoire ajoutée à son contenu propositionnel. Des énoncés différents peuvent avoir le même contenu propositionnel tout en correspondant à des actes de langage différents (par exemple, « Pierre ferme la porte » ; « Est-ce que Pierre ferme la porte ? » ; « Pierre, ferme la porte ! » ; « Pourvu que Pierre ferme la porte ! ») ; d'autres peuvent avoir la même force illocutoire exprimée de façon très différente (par exemple, « Ferme la porte ! » ; « Je t'ordonne de fermer la porte » ; « Est-ce que tu pourrais fermer la porte, s'il te plaît ? »).

La question des conditions de succès ainsi que celle de la classification même des types d'actes de langage ont été reprises par Searle dans son ouvrage de 1979, traduit en 1982 sous le titre Sens et expression. Il y étudie notamment les formes indirectes d'expression des actes illocutoires – ce que la tradition reprendra ultérieurement sous l'appellation d'« actes de langage indirects ». Par opposition aux actes de langage directs qui, tels ceux qui sont exprimés par les performatifs explicites, sont immédiatement déchiffrables dans la forme même de l'énoncé, les actes de langage indirects (« Auriez-vous du feu, par hasard ? ») doivent être reconstruits par l'auditeur au terme d'un calcul qui fait appel à plusieurs types de connaissances, linguistiques et extralinguistiques, ainsi qu'à des capacités d'inférence.

L'idée défendue par les philosophes de l'école d'Oxford, selon laquelle le langage est une forme d'action sur autrui, et pas seulement un mode de représentation du monde, n'est certes pas nouvelle. Depuis l'Antiquité, la rhétorique s'en était fait l'apôtre et, dès les débuts de la linguistique, plusieurs courants l'avaient également formulée, dans des perspectives diverses : réflexions sur les « fonctions du langage » (Karl Bühler, Roman Jakobson), opposition entre le l'attitude, ou « modus », et le contenu, ou « dictum » (Charles Bally), approches sémiotiques de la pragmatique (Charles Peirce, Charles Morris ou Ludwig Wittgenstein). Mais c'est certainement à Austin et à Searle que l'on doit d'avoir donné un statut théorique à cette conception du langage.

Après ces deux pionniers, plusieurs auteurs ont enrichi la discipline par leurs travaux. Certains, comme Peter Strawson, se sont inscrits directement dans la lignée de la théorie des actes de langage ainsi tracée, en cherchant notamment à redéfinir la notion d'illocutoire et les différents niveaux de la signification. D'autres, s'appuyant sur la théorie des actes de langage, ont exploré de nouvelles pistes ouvertes par la pragmatique linguistique, toujours dans le but d'appréhender le langage comme un moyen d'agir sur le contexte interlocutif : ainsi des études sur la dimension des présupposés et de l'implicite dans le langage, ou encore l'analyse des interactions communicatives.

— Catherine FUCHS

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