ACTEUR
Si l' acteur force si souvent le respect ou l'exécration, cela signifie bien qu'il travaille avec les outils les plus précieux de l'humanité en l'homme : le corps et la psyché. Qu'il engendre, par un jeu de métamorphoses, à la fois la familiarité et l'étrangeté, qu'il réfracte l'envers et l'avers de chacun de nous. À la fois même et autre, sa personne fut en même temps objet d'infamie et d'idolâtrie, comme si l'esthétique du plaisir ne pouvait que se dissocier, et tenir à la fois l'acteur pour le producteur de passions délétères et pour un enchanteur capable d'instruire tout en amusant.
Ainsi écartelé, l'acteur occidental reste celui qui, à mesure qu'il s'élève, risque plus sûrement de retourner à la boue. Modèle du tyran, proche du pouvoir et du politique, il est aussi son concurrent direct, de même qu'il peut devenir pédagogue, maïeuticien, ou porte-voix de la révolution. Désormais, son art et sa corporéité empruntent à celui du danseur, du performer, branché sur des dispositifs machiniques parfois virtuels, qui induisent un bouleversement de l'interprétation et de la théâtralité. Tout comme les autres arts, celui de l'acteur n'a pas échappé en effet à sa déconstruction.
De l'acteur au comédien
La mimésis antique
La figure réelle ou mythique de Thespis structure la naissance de l'acteur au vie siècle avant J.-C. L'« hypocrite » – celui qui réplique – sort du groupe des officiants des cortèges religieux pour entamer un jeu de réponses, encore ritualisé, avec le chœur dont il est issu. Thespis crée donc le protagoniste, acteur individualisé, dialoguant avec le chœur, acteur collectif symbolisant la cité. La Chronique de Paros témoigne ainsi de cette émergence. « Parut Thespis, le poète qui le premier fit jouer un drame dans la ville. » Ce poète-acteur crée également les premiers masques après avoir à l'origine gardé le visage barbouillé de lie de vin et de céruse propre aux officiants de Dionysos. L'apparition du masque puis de la grande robe et des cothurnes matérialise ainsi la naissance d'une parole fictive, peu à peu profane, qui s'organisera quelques décennies plus tard en techniquerhétorique. L'apparition de l'acteur ne manque pas de faire surgir un questionnement qui porte à la fois sur la légitimité de la parole fictive, mensongère, et sur l'illusion qui crée le corps de l'« hypocrite », cette puissance de métamorphose qui ne laisse pas de troubler la cité et, à travers elle, la communauté politique. Ainsi Solon, alors chef du gouvernement athénien, alla voir Thespis « ... après que le jeu fut fini, il l'appela et lui demanda s'il n'y avait point de honte de mentir ainsi en la présence de tant de monde ». Thespis lui répondit qu'il n'y avait point de mal de dire et de faire de telles choses vu que c'était par jeu. Adonc Solon, frappant bien ferme contre la terre avec un bâton qu'il tenait en sa main : « Mais en louant [...] et approuvant de tels jeux de mentir à bon escient, nous ne nous donnerons garde que nous les retrouverons bientôt à bon escient dedans nos contrats et nos affaires mêmes. »
Les dés en sont jetés. L'acteur sera pour la Grèce antique cet animal mimétique qui, grâce à la parole poétique, menace de contamination la cité. Contamination dont Platon pose les prémisses dans le dialogue du Ion : « Quand je déclame un passage qui émeut la pitié, dit Ion, le rhapsode d'Homère, mes yeux se remplissent de larmes, quand c'est l'effroi ou la menace, mes cheveux de peur se dressent tout droits et mon cœur se met à sauter ! [...] et, à chaque fois du haut de l'estrade, je les vois pleurer, jeter des regards de menace, être avec moi frappés de stupeur en m'entendant.[...]
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Écrit par
- Dominique PAQUET : docteur en philosophie, écrivain
Classification
Médias
Autres références
-
PERSONNAGE, notion de
- Écrit par Christophe TRIAU
- 1 439 mots