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ACTEUR

Vers une psychologie de l'acteur

Avant de se normaliser, cette esthétique de la sensibilité se répand dans le théâtre révolutionnaire et romantique, d'autant que le passage à Paris en 1827 des acteurs anglais infléchit cette extériorisation du sensible vers l'expression d'une vérité parfois paroxystique. L'acteur, désormais, n'hésite pas à rendre les affres de l'agonie d'une manière on ne peut plus « réaliste », mêlant aux convulsions tétaniques les râles du trépas, « sans oublier le rire sardonique ».

Pour ce faire, l'introspection quotidienne est nécessaire, et le comédien apprend à prendre en compte les comportements de ses contemporains autant que sa propre réflexion. Ainsi Talma avoue-t-il : « À peine oserai-je dire que moi-même, dans une circonstance de ma vie où j'éprouvai un chagrin profond, la passion du théâtre était telle en moi qu'accablé d'une douleur bien réelle, au milieu des larmes que je versais, je fis malgré moi une observation rapide et fugitive sur l'altération de ma voix et sur une certaine vibration spasmodique qu'elle contractait dans les pleurs : et je le dis non sans honte, je pensai machinalement à m'en servir au besoin. » Talma sera aussi l'un des premiers à accorder à l'acteur – celui qui agit – à la fois une sensibilité et un jugement, les deux facultés jouant l'une avec l'autre un libre jeu tour à tour de la législation et de la régulation, soutenu par la mémoire et la technique.

Les recherches empiriques d'une psychologie de l'acteur sont contemporaines des esthétiques réaliste puis naturaliste de la seconde moitié du xixe siècle étayées par la codification des conditions : père noble, duègne, banquier, financier, rastaquouère, ingénue pour n'en citer que quelques-unes... L'apparition du metteur en scène impulse corollairement une réflexion sur la mise en espace du corps, d'autant que l'éclairage et l'obscurité de la salle favorisent chez le comédien une concentration de son jeu vers plus d'intériorité et de rigueur. Grâce aux travaux de François Delsarte et de Jaques-Dalcroze, la machine corporelle est mise en relation avec l'esprit et le rythme. Jacques Copeau s'en souviendra, qui fondera la formation de l'acteur sur des exercices de gymnastique rythmique, d'acrobatie, de danse, d'escrime et surtout d'improvisations lancées à partir de canevas sommaires. Cette connaissance et cette maîtrise du corps ne doivent procéder cette fois ni de la pure imitation de soi-même ou d'autrui, ni des images peintes ou sculptées, mais d'une intériorité qui sait s'exprimer par l'expérience personnelle ou encore par cette sorte de divination propre à l'artiste.

À la même époque, Stanislavski jette sur le papier des notes sur la formation de l'acteur et la construction du personnage. Il enjoint à ses élèves de lutter contre le cliché, la mauvaise théâtralité gesticulatoire fabriquée sous le prétexte de la sincérité à tout prix. À partir de la biographie du personnage, de son comportement, des circonstances de l'action et de l'établissement de ses volontés, le comédien incarne peu à peu le rôle. Il doit, afin d'être chaque soir égal à soi-même, faire volontairement naître des émotions en revivant celles du personnage. Mais la fiction instaure toujours un « comme si », et l'émotion du personnage sera issue de la mémoire émotionnelle de l'acteur et produite par une émotion non pas identique, mais analogue à celle que doit éprouver la créature fictive. Cette école du « revivre » met l'accent sur le trajet centrifuge de l'interprétation : le travail psychique entraîne le physique, et l'interprétation ne naît que d'une maturation intérieure, d'une pénétration psychique du rôle parallèlement à un travail réaliste sur le [...]

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Médias

Scène de kabuki - crédits : Herve Bruhat/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Scène de kabuki

Sur les quais, E. Kazan - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Sur les quais, E. Kazan

Autres références

  • PERSONNAGE, notion de

    • Écrit par
    • 1 439 mots

    Notion a priori simple que celle de « personnage », qui désigne l'équivalent fictif de la personne humaine, tel qu'il est employé dans une œuvre littéraire et, dans le cas du théâtre, incarné sur scène par un acteur. Personne fictive, toute la complexité de cette notion est...