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ACTION COLLECTIVE

Penser les conditions de l'action collective

L'inspiration psychosociologique qui souffle sur l'ensemble de ces développements théoriques a également animé les recherches sur les conditions structurelles préalables à la formation de l'action collective. En rupture avec les schémas évolutionnistes opposant communauté et société, et avec la thèse de l'avènement d'une société de masse selon laquelle la mobilisation se réduirait à la propagande (William Kornhauser, The Politics of Mass Society, 1959), les théoriciens des « petits groupes » se sont attachés à repérer l'existence de formes d'intégration, en déclinant l'ensemble de la gamme du lien social, du face-à-face intime au groupe organisé, et à montrer l'impact de l'information et des communications dans l'efficacité des entreprises collectives. De même, la Network Analysis a offert des perspectives nouvelles en montrant comment l'action collective procédait de la création ou de la réactivation de chaînes relationnelles reposant sur des substrats variés (parenté, association, liens économiques, religieux, etc.).

Parallèlement, les modélisations qu'offre la théorie mathématique des jeux ont fait l'objet d'applications empiriques (Thomas C. Schelling, Stratégie du conflit, 1960 ; Theodore Caplow, Deux contre un, 1968) qui ont servi à l'analyse des phénomènes d'alliance, de coopération, de coalition et de conflits au sein et entre les groupes – analyse que Georg Simmel (Sociologie, 1908) avait déjà annoncée en indiquant l'importance du nombre sur la structuration du groupe et le rôle du tertius gaudens dans son équilibre général.

Les théories du choix rationnel représentent une véritable alternative aux approches psychosociales de l'action collective. Ainsi, dans son travail sur le conflit entre un syndicat ouvrier et la direction d'une entreprise, Anthony Oberschall (Social Conflict and Social Movements, 1973) conçoit l'action collective comme le produit d'une décision établie, après analyse des différentes possibilités qu'offre la situation et l'évaluation anticipatrice des coûts, des risques et des avantages de chacune d'elles, par des individus stratèges cherchant à atteindre par les moyens les plus efficaces la satisfaction optimale de leurs exigences initiales. Rompant avec la forte tendance à interpréter l'éclosion de l'action collective sur le mode de l'explosion imprévisible, cette théorie dite de la mobilisation des ressources prend également le contre-pied des thèses défendues par les penseurs de la société de masse : c'est moins la prétendue désintégration des liens sociaux que la segmentation qui favorise l'action collective qui trouvera ses leaders de façon prioritaire parmi les membres du groupe. Charles Tilly (From Mobilization to Revolution, 1978) complète ce modèle en énonçant les composantes organisationnelles internes nécessaires au passage à l'acte, mais surtout en replaçant la thématique de la mobilisation dans le cadre des relations que le groupe entretient avec son environnement sociopolitique, dont les opportunités et les menaces qu'il présente se traduisent en frais d'entrée plus ou moins élevés dans l'action collective.

À elle seule, la catégorie de l'intérêt ne suffit donc pas à donner une explication de la participation, ainsi que l'avait déjà révélé Mancur Olson (Logique de l'action collective, 1965) en soulevant le paradoxe de l'action collective qu'on avait tendance, malgré le fameux exemple des « paysans parcellaires » de Karl Marx (Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte, 1852), à identifier ou tout au moins à concevoir comme un prolongement naturel de la logique de l'action individuelle (Arthur Bentley, The Process of Government[...]

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Écrit par

  • : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne

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