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ACTION FRANÇAISE

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Histoire de l'Action française

Avant 1914

L'Action française est née de l'affaire Dreyfus dans une France divisée en deux camps irréconciliables, dans un pays profondément meurtri par l'annexion de l'Alsace-Lorraine et récemment humilié par les événements de Fachoda, dans une atmosphère d'angoisse, de crise et de guerre civile. Jusqu'à sa mort, Maurras restera obsédé par le souvenir de l'affaire Dreyfus dont les conséquences lui paraissent évidentes : « Au moral la haine de l'esprit militaire, au matériel un désarmement qui attire la guerre comme l'aimant le fer. »

En août 1899, un professeur de philosophie âgé de trente-quatre ans, Henri Vaugeois, et un jeune critique littéraire de vingt-six ans, Maurice Pujo, fondent une revue à couverture grise, qui paraît tous les quinze jours, la Revue de l'Action française. Ils ne sont royalistes ni l'un ni l'autre, à l'origine, mais ils jugent que la Ligue de la patrie française s'enlise dans l'académisme et ils veulent créer un mouvement plus dynamique. Charles Maurras, qui avait donné en 1898 au journal royaliste La Gazette de France un article retentissant dans lequel il se solidarisait avec le colonel Henry, au lendemain de son suicide, ne tarde pas à rejoindre le petit groupe qui s'est formé autour de la Revue de l'Action française et, à la fin de l'année 1900, la « revue grise » est devenue une revue royaliste.

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Pendant plusieurs années, la Revue de l'Action française ne connaît qu'une audience limitée. C'est à partir de 1905 qu'elle prend son essor, sous l'influence de deux événements :

– l'alerte de Tanger (1905), qui, « par ce demi-clair matin » dont parlera Péguy, place brusquement la France en face de la menace allemande, et qui sera suivie par l'alerte d'Agadir en 1911 ;

– le conflit entre le gouvernement et les catholiques à propos de la séparation des Églises et de l'État (1905) et de la crise provoquée par les inventaires. Un certain nombre d'officiers catholiques, comme Bernard de Vésins ou Robert de Boisfleury, refusent de suivre des ordres contraires à leur foi, donnent leur démission et rejoignent l'Action française. Dans diverses régions de France, notamment dans l'Ouest, se multiplient les adhésions à la Ligue d'action française qui s'est créée en janvier 1905 et qui apparaît comme le seul mouvement d'opposition catégorique au régime. Maurras, qui est personnellement agnostique, se trouve donc à la tête d'un mouvement qui groupe une forte proportion de catholiques.

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À la Ligue d'action française s'ajoutent, en 1906, les «  camelots du roi », qui se préoccupent avant tout d'agir dans la rue, et l'Institut d'action française, qui est une entreprise pédagogique avec une chaire Maurice Barrès sur la doctrine nationaliste, une chaire du Syllabus où l'on dénonce le modernisme et le catholicisme libéral, etc. En mars 1908, la Revue de l'Action française se transforme en un journal quotidien, L'Action française, qui paraîtra sans interruption pendant trente-six ans.

Entre 1905 et 1914, l'Action française organise manifestations sur manifestations :

– en 1905, pour célébrer le 75e anniversaire de la naissance de Fustel de Coulanges, mort en 1889, qui n'était ni royaliste ni catholique, mais dont l'Action française revendique le patronage, car c'est un historien patriote ;

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– en 1906, après la décision de la Cour de cassation annulant la condamnation de Dreyfus en vertu de l'article 445 contre lequel se déchaînent les camelots du roi ;

– en 1908, contre le transfert des cendres de Zola au Panthéon ;

– en 1908 également, contre Thalamas, l'« insulteur de Jeanne d'Arc », et contre le germaniste Charles Andler, accusé d'avoir conduit ses étudiants en Allemagne ;

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– en 1910, lorsque le président du Conseil, Aristide Briand, est giflé par un camelot du roi ;

– en 1911, contre l'auteur de théâtre Henri Bernstein, accusé d'avoir déserté pendant son service militaire ;

– en 1912, contre Jean-Jacques Rousseau, à l'occasion du bicentenaire de sa naissance.

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Époque de violence, époque d'outrance : jusqu'à sa disparition, L'Action française gardera le même style de polémique et d'agitation.

Favorisée par le renouveau du nationalisme qui se manifeste avant la Première Guerre mondiale, L'Action française rassemble autour d'elle une brillante pléiade d'intellectuels : Léon Daudet, orateur et polémiste, nature expansive et truculente que Barrès comparaît à Dionysos ; Jacques Bainville, l'historien de L'Action française qui ne cessera de dénoncer l'éternel péril allemand, notamment dans son Histoire de deux peuples ; Georges Valois qui s'efforce d'établir une synthèse entre Maurras et Georges Sorel ; Jacques Maritain qui vient à L'Action française par le thomisme et qui rompra avec Maurras après la condamnation pontificale de 1926 ; Georges Bernanos, qui fait partie avant la Première Guerre mondiale d'une petite bande dont les membres s'appellent les « hommes de guerre » ; Henri Massis qui publie en 1912, avec Alfred de Tarde, l'enquête d'Agathon sur Les Jeunes Gens d'aujourd'hui, et qui deviendra un des plus fidèles disciples de Maurras ; Pierre Lasserre, l'ennemi personnel du romantisme ; le stendhalien Henri Martineau et le groupe de la Revue critique des idées et des livres qui naît en 1908 ; l'historien de l'art Louis Dimier ; les religieux dom Besse et le père Clérissac... Le marquis de La Tour du Pin fait acte d'allégeance envers l'Action française ainsi que Jules Lemaître, et Jacques Rivière, dans sa correspondance avec Alain-Fournier, ne dissimule pas sa sympathie.

L'Action française exerce donc une incontestable attirance sur les intellectuels, mais il faut se garder de surestimer son audience et surtout son influence politique. Avant 1914, c'est un mouvement essentiellement parisien, avec un certain nombre de bastions provinciaux, notamment en Bretagne, en Vendée, dans le Gard, dans l'Hérault et dans la région de Bordeaux. Elle recrute surtout dans les familles de hobereaux – un cinquième environ de ses membres porte un titre de noblesse – dans l'armée, parmi les médecins et dans la petite bourgeoisie : commerçants, agents d'assurances, voyageurs de commerce. Elle ne parvient pas en revanche à pénétrer dans le monde ouvrier, et les efforts entrepris à cet égard par le cercle Proudhon, qui naît en 1911 et qui s'efforce de sceller l'alliance du nationalisme intégral et du syndicalisme révolutionnaire, se soldent par un échec total.

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Jusqu'en 1908-1910, l'Action française reste un très petit mouvement qui fait beaucoup de bruit. Si elle connaît un incontestable succès avant 1914, c'est parce que le courant traditionaliste et contre-révolutionnaire, dont Maurras s'est fait le théoricien, vient converger – sans d'ailleurs se confondre – avec un nationalisme diffus qui se répand largement dans presque tous les secteurs de l'opinion et dans l'ensemble de la société française.

Après 1914

Pendant la Première Guerre mondiale, l'Action française pratique l'« union sacrée », et s'attache à dénoncer les traîtres, tous les traîtres : les laiteries Maggi, Malvy, Caillaux, Le Bonnet rouge. Elle bénéficie, après la victoire, de la vague nationaliste qui porte au Palais-Bourbon la Chambre « bleu horizon ». Daudet est élu député ainsi qu'une trentaine de sympathisants de l'Action française. Maurras, qui entretient une correspondance cordiale avec Poincaré, soutient fermement sa politique en 1923, au moment de l'occupation de la Ruhr. Lors des élections de 1924, l'Action française croit pouvoir s'écarter du Bloc national et présenter ses propres candidats. Elle subit une déroute électorale, et Daudet perd son siège de député. C'est cependant en 1925-1926, à la faveur de la peur suscitée par le Cartel des gauches, que se situe l'apogée de l'Action française. Le journal compte à cette époque 48 000 abonnés, auxquels s'ajoutent 53 000 exemplaires vendus au numéro. C'est alors qu'intervient, à la fin de 1926, la condamnation de l'Action française par le Saint-Siège.

Les circonstances et motifs de cette condamnation – particulièrement dure puisqu'il était interdit aux catholiques de lire L'Action française sous peine d'être exclus des sacrements, et de ne pouvoir être ni mariés ni enterrés religieusement – ont fait l'objet de débats passionnés. La personnalité de Pie XI a été mise en cause, et l'Action française a voulu voir dans la condamnation une mesure inspirée par des motifs purement politiques.

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En fait, on peut penser – sans que la vérité à cet égard soit clairement établie – que la condamnation de l'Action française a eu pour raison principale la volonté de Pie XI de contrebattre l'influence prépondérante détenue dans l'Église par l'épiscopat nommé au temps de Pie X, lors de la réaction antimoderniste, et son désir d'avoir les mains libres pour développer les mouvements d'action catholique du type de la JOC et de la JAC. À cette raison fondamentale se sont sans doute ajoutées des considérations d'un autre ordre : le souci de lutter contre un nationalisme intransigeant et de favoriser la coopération internationale.

Quoi qu'il en soit, la condamnation romaine, à laquelle Maurras répond par un non possumus, est à l'origine d'une crise profonde, et de nombreux catholiques se détournent de l'Action française au moment même où celle-ci subit le contrecoup des succès de Poincaré. La popularité du « sauveur du franc », le triomphe du nationalisme conservateur enlèvent à l'Action française une partie de sa raison d'être et détournent d'elle une fraction de son public. Les effectifs fondent, les départs se multiplient. Le journal perd la moitié de ses lecteurs.

Mais le balancier se déplace. L'Action française, qui est en perte de vitesse lorsque la situation politique se stabilise, connaît un nouvel essor en période de crise. La crise d'antiparlementarisme qui suit les élections de 1932, et qui culmine au moment de l'affaire Stavisky, semble donner à l'Action française un nouveau départ. Les camelots du roi participent à toutes les manifestations de rue contre les « voleurs » et jouent un rôle important le 6 février 1934.

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Voilà donc l'occasion du « coup de force » depuis longtemps annoncé par Maurras. Mais Maurras tergiverse. L'occasion est manquée, et les membres les plus ardents de l'Action française se détournent d'un mouvement qui leur paraît voué à l'impuissance (cf. le témoignage de Lucien Rebatet dans Les Décombres).

Désormais, le déclin de l'Action française s'accentue, en même temps que les Croix-de-Feu progressent à un rythme accéléré. Ce déclin est masqué par quelques faits spectaculaires (l'élection de Maurras à l'Académie française en 1938, la levée de la condamnation pontificale par Pie XII en 1939), mais il n'en est pas moins réel, et le Prétendant, sentant que l'Action française risque de l'engager dans une entreprise sans issue, rompt publiquement avec elle en 1937.

Jusqu'à la guerre, l'Action française, tout en dénonçant avec clairvoyance le péril hitlérien, accable d'outrages les gouvernants de la République, notamment Léon Blum qui est l'objet d'attaques marquées par l'antisémitisme le plus élémentaire. L'Action française appelle la France à s'armer pour résister à l'Allemagne, mais, en même temps, elle dénonce avec une violence quasi obsessionnelle la complicité de la République avec la « conspiration judéo-maçonnique » qui pousse à la guerre pour faire en définitive le jeu des Soviets.

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La position de Maurras, à cet égard, est bien définie par ce texte publié dans L'Action française, le 11 janvier 1937 : « Des lecteurs de L'Action française, il n'en est pas un qui ignore ou puisse ignorer que l'ennemi numéro un de leur pays est l'Allemagne [...]. Après Hitler, ou, qui sait ? avant lui, sur un tout autre plan, il y a un autre ennemi. C'est la République démocratique, le régime électif et parlementaire légalement superposé comme un masque grotesque et répugnant à l'être réel du pays français. »

En 1938, lors de la crise de Munich, comme en 1939, Maurras ne cesse de répéter : « Rien pour une guerre de doctrine, tout pour la défense de notre sol sacré », ou : « Pas de guerre pour les juifs. » En juin 1940, après l'effondrement des armées françaises, il déclare au préfet de la Vienne : « Que voulez-vous, monsieur le Préfet, soixante-dix ans de démocratie, ça se paie. » Il dira un peu plus tard : « Avec Pétain nous sortions du tunnel de 1789. » La « divine surprise » dont parle Maurras en février 1941, ce n'est pas la défaite de la France, mais la chance qu'a eue la France d'être arrachée au désastre par le maréchal Pétain.

Maurras, dont les sentiments à l'égard des « boches » n'ont pas varié, accueille donc chaleureusement la « Révolution nationale ». Tout en prenant ses distances à l'égard des anciens membres de l'Action française qui versent dans la collaboration, notamment le groupe de Je suis partout, il continue à faire paraître L'Action française après l'occupation de la zone libre en 1942 et, jusqu'en août 1944, il poursuit, à grand renfort de « je l'avais bien dit », ses attaques contre les gaullistes, les démocrates-chrétiens, les juifs, les francs-maçons et leurs alliés. Condamné à la détention perpétuelle en 1945, il s'écrie : « C'est la revanche de Dreyfus. »

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Sans doute, d'anciens membres de l'Action française, comme Guillain de Bénouville ou Jacques Renouvin, ont-ils rejoint les rangs de la Résistance ou de la France libre, mais l'Action française, dans son ensemble, ne s'est pas écartée de la ligne définie par Maurras. Les fidèles de Maurras garderont le sentiment qu'ils ont été victimes d'une conspiration. Ils dénonceront infatigablement les horreurs du « résistantialisme » et les crimes de l'épuration, et ils ne pardonneront au général de Gaulle ni la condamnation de Maurras ni la disparition de l'Action française.

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Écrit par

  • : secrétaire général de la Fondation nationale des sciences politiques, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Charles Maurras - crédits : Leonard de Selva/ Bridgeman Images

Charles Maurras

Charles Maurras - crédits : Pierre Petit/ Hulton Archive/ Getty Images

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