ACTION RATIONNELLE
Chicago, foyer intellectuel de la théorie du choix rationnel
Pendant de longues décennies, les économistes ont gardé le monopole de l'explication des actions à l'aide d'une telle théorie. Le cas paradigmatique est l'analyse du consommateur, que les économistes appréhendent comme un être capable d'ajuster de façon optimale ses préférences aux contraintes (le budget dont il dispose) qui sont les siennes. Sous l'impulsion de Gary Becker, professeur à l'université de Chicago, cette représentation des pratiques déborde même du champ exploré par les économistes pour s'appliquer, à compter des années 1970, à des objets habituellement réservés aux sociologues : le mariage, la déviance, l'éducation, etc. G. Becker développe par exemple une théorie du mariage qui, faisant fi des considérations sociales habituelles, propose d'assimiler le couple à une entreprise. Le mariage peut se comprendre dans ce cadre comme une opération de diminution des coûts de la vie domestique, opération à laquelle les deux protagonistes ont tout à gagner puisque chaque conjoint fournit à l'autre des ressources que, hors du mariage, il devrait payer (travail domestique, service sexuel...).
Face à cet impérialisme conquérant de la théorie économique, mais en réaction surtout aux sociologies fonctionnalistes et critiques qui tiennent le haut du pavé dans les années 1960 et 1970, le défi est relevé par James Coleman (1926-1995), un sociologue, également enseignant à Chicago, qui fonde une école dite de la théorie du choix rationnel ainsi qu'une revue académique de référence (Rationality and Society). Le cœur du paradigme est exposé dans Foundations of Social Theory que Coleman publie en 1990. De cet ouvrage majeur, il est possible de retenir quelques grandes lignes de force. La première s'inspire explicitement de l'individualisme méthodologique. Les phénomènes sociaux, quels qu'ils soient, doivent être compris comme la résultante d'actions individuelles. Coleman considère, second point, que les individus sont reliés les uns aux autres par des enjeux d'intérêts et de contrôle qui se manifestent, dans les échanges sociaux, à travers des normes de droit, des relations d'autorité et des relations de confiance. Il est possible, dans ce cadre, de comparer marchés et systèmes sociaux. Le marché concurrentiel des économistes est assimilable à ce que Coleman nomme un système social parfait. En son sein, les acteurs agissent de façon rationnelle, aucun obstacle n'entrave l'usage des ressources dont ils disposent et les différentes ressources (argent, pouvoir, relations...) sont aisément convertibles. À l'instar de ce qu'enseigne la théorie économique néoclassique, les échanges sociaux auxquels procèdent les individus peuvent aboutir à un état d'équilibre, situation dans laquelle il n'est plus possible d'améliorer la situation des coéchangistes.
S'il emprunte largement à l'outillage économique orthodoxe, notamment en restreignant son schéma d'analyse à une rationalité instrumentale, Coleman prend néanmoins de la distance à l'égard du paradigme néoclassique en considérant que les individus ne ressemblent en rien à l'homo œconomicus asocial des économistes. Coleman s'intéresse ainsi au capital social ou, si l'on préfère, aux relations et connaissances dont disposent les individus. Celles-ci peuvent être analysées comme des ressources qui prêtent à calcul intéressé. Un individu peut estimer par exemple qu'il est bénéfique de consommer du temps et de l'argent pour entretenir des liens avec certaines personnes qui pourront l'aider à trouver un emploi, à faire carrière ou à préserver ses intérêts.
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Écrit par
- Michel LALLEMENT : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers
Classification
Média
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