ACTION RATIONNELLE
Individualisme méthodologique et effets pervers
En France, Raymond Boudon développe également depuis les années 1970 une théorie sociologique de l'action rationnelle. Tout comme chez Coleman, l'individualisme méthodologique est au principe de son entreprise. Convaincu de la prééminence des actions individuelles dans la construction du social, Boudon répète à l'envi que la tâche du sociologue consiste d'abord à retrouver le sens des comportements individuels à la source des phénomènes sociaux.
Par exemple, pour expliquer les inégalités scolaires, Boudon estime, dans L'Inégalité des chances (1973), qu'il suffit de comprendre la décision que prend l'individu à chaque moment crucial pour son orientation. L'option retenue est d'abord commandée par une évaluation en termes de coûts. Il se trouve que, dans les milieux défavorisés, la poursuite d'études dans les voies les plus prestigieuses est associée à des risques importants. Les individus pensent que leur probabilité d'obtenir un diplôme élevé est faible. Les aspirations sociales ne sont pas non plus les mêmes et sont largement déterminées par le statut de la famille du jeune. Si l'on somme les comportements individuels en faisant le pari qu'ils sont déterminés par ces deux principes de base, il devient possible d'expliquer l'inégale distribution des individus dans le système scolaire sans qu'il soit nécessaire pour cela de mobiliser une explication culturaliste ou fonctionnaliste.
Modéliser le comportement de l'individu en faisant le pari qu'il est doté d'une rationalité minimale puis observer les conséquences de l'agrégation des décisions permet par ailleurs de mettre en évidence des effets pervers. Par là, il faut entendre des effets non voulus d'actions rationnelles, effets qui vont à l'encontre des intérêts et des intentions mêmes des individus. Dans The Logic of Collective Action (1966), Mancur Olson montre ainsi qu'une action collective dont on est presque sûr qu'elle débouchera sur un bien collectif profitable à tous (réduction d'impôt, augmentation de salaire...) peut ne pas avoir lieu du tout. L'intérêt bien compris de chaque individu est de laisser les autres agir pour bénéficier des fruits du mouvement sans en assumer les coûts. Si chaque individu raisonne de la sorte, l'action collective ne voit pas le jour et tous les intérêts individuels en sont contrariés d'autant.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel LALLEMENT : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers
Classification
Média
Autres références
-
ACTION COLLECTIVE
- Écrit par Éric LETONTURIER
- 1 466 mots
...travail sur le conflit entre un syndicat ouvrier et la direction d'une entreprise, Anthony Oberschall (Social Conflict and Social Movements, 1973) conçoit l'action collective comme le produit d'une décision établie, après analyse des différentes possibilités qu'offre la situation et l'évaluation anticipatrice... -
INDIVIDUALISME ET HOLISME
- Écrit par Rémi LENOIR
- 1 281 mots
...xviiie siècle, dans la formation d'un système de pensée philosophique, économique, juridique, politique et religieux, sa forme la plus achevée, ce qu'on appelle aujourd'hui la théorie de l'action rationnelle. L'action y est fondée sur le choix intentionnel d'un acteur libre de... -
RATIONALITÉ, sociologie
- Écrit par Isabelle KALINOWSKI
- 1 435 mots
Au xxe siècle, le concept de rationalité a dû faire son deuil des implications optimistes qui avaient pu être associées à l’idée de raison à partir de la philosophie des Lumières : l’affranchissement de l’homme par rapport à un « état de tutelle » (Emmanuel Kant, Qu’est-ce...