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AD ASTRA (J. Gray)

Dans le premier long-métrage de James Gray, Little Odessa (1994), Joshua Shapira (Tim Roth), tueur sans envergure, revenait dans le quartier de son enfance et, de petit frère admiratif en mère mourante et aimante, allait jusqu’à contraindre à s’agenouiller son père démissionnaire et haï (Maximilian Schell) pour un meurtre symbolique. Un quart de siècle et sept longs-métrages plus tard, dans Ad Astra, James Gray met en scène un astronaute envoyé en mission dans l’espace à la recherche de son père (Tommy Lee Jones), lui-même astronaute, qui a négligé son épouse et son fils et exerce sa folie incontrôlée et dangereuse aux confins du système solaire. Contrairement à Joshua Shapira, Roy McBride (Brad Pitt) ira au bout de sa mission dans son affrontement avec son père et reviendra sain et sauf, mais plus marqué que jamais. De l’espace clos du quartier de Little Odessa, à Brooklyn, où règne la mafia ukrainienne, nous sommes passés, dans Ad Astra, aux profondeurs infinies et à l’immensité obscure, tant spatiale que philosophique. Peu de choses ont changé : les figures du passé surgissent (Donald Sutherland) et les voyous sont maintenant remplacés par des singes devenus fous de rage. Toutefois, la quête reste la même, nécessaire mais jamais apaisante.

La cohérence d’une œuvre

Dans la mesure où l’on aborde le cinéma et ses auteurs comme une discipline artistique, le ressassement des thèmes et des figures n’est jamais le signe d’un manque d’inspiration. Pour beaucoup d’artistes, créer revient à traiter un sujet unique dans un cadre qui n’en modifie les signes extérieurs que pour en élargir la portée. Familier de la philosophie et des beaux-arts, James Gray, encore une fois coauteur du scénario, ici avec Ethan Gross, n’a cessé de reprendre les mêmes thèmes en renouant avec des modèles classiques éternels. Chez lui, le « polar » devient tragédie grecque (The Yards, 2000 ; La nuit nous appartient[WeOwn the Night], 2007), l’errance urbaine se souvient du périple spirituel de L’Aurore de Murnau (TwoLovers, 2008) ou du mélodrame sublime à la D. W. Griffith (The Immigrant, 2013, si proche des Deux Orphelines, 1921). Précédant Ad Astra, The Lost City of Z (2017), qui aurait déjà dû être interprété par Brad Pitt (il en fut néanmoins le producteur), élargissait la thématique chère à l’auteur en la déployant sur des continents inconnus et lointains et en jetant une lumière nouvelle sur la figure du père, dont la quête d’idéal doublait celle, plus affective, du fils. On était proche d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad (1899) et, bien sûr, d’Apocalypse Nowde Francis Ford Coppola (1979). C’était un premier pas vers la paradoxale grandeur épique d’Ad Astra.

<em>Ad Astra</em>, J.Gray - crédits : 20th Century Fox/ REX/ The Kobal Collection/ Aurimages

Ad Astra, J.Gray

Paradoxale car le décor ne nous montre, comme 2001, l’Odyssée de l’espace (2001, A SpaceOdyssey, 1968, de Stanley Kubrick, qu’il évoque), une technologie monumentale que pour nous plonger dans une obscurité aussi infinie que dépeuplée. En effet, dans son odyssée, Roy McBride abandonne un à un collègues et collaborateurs, repères, liens affectifs (son épouse n’apparaît plus que via un écran), pour progresser vers une solitude que la grandeur environnante rend de plus en plus palpable et déchirante. Au moment de la rencontre, il adressera à Clifford (Tommy Lee Jones), le père aimé-honni, une phrase dont la simplicité illustre le propos du film entier : « Il n’y a que nous. »

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

Classification

Média

<em>Ad Astra</em>, J.Gray - crédits : 20th Century Fox/ REX/ The Kobal Collection/ Aurimages

Ad Astra, J.Gray