MICKIEWICZ ADAM (1798-1855)
Lyrisme et patrie
Ses premières œuvres respirent l'atmosphère du romantisme européen : des ballades, inspirées les unes de Schiller, d'autres du fonds populaire lituanien et biélorusse auquel se rattachent aussi les scènes du culte des ancêtres évoqué dans la deuxième partie des Aïeux (Dziady) ; des légendes faisant revivre le passé lointain (Grażyna) ; une inspiration orientaliste où une couleur locale dense s'unit à la méditation lyrique, comme dans les Sonnets de Crimée (Sonety Krymskie, 1828).
Konrad Wallenrod (1828) est encore une histoire médiévale d'amour et de mort, mais, sous le voile de la vengeance d'un Lituanien contre les chevaliers Teutoniques, c'est la Pologne martyrisée par l'Empire russe qu'il faut deviner, comme ne le firent pas les censeurs russes...
Est-il permis d'utiliser des moyens moralement répréhensibles pour une œuvre louable, de trahir pour venger sa patrie ? Ce problème, qui fait souffrir Wallenrod, Mickiewicz se le posait, et plus encore après la crise religieuse qu'il a traversée à Rome. Dans la troisième partie des Aïeux, écrite à Dresde, Conrad représente l'orgueil prométhéen, qui va jusqu'à défier Dieu, et qui exige de lui la puissance armée pour libérer sa nation (la célèbre « Improvisation ») ; mais la victoire ne peut être acquise que par l'humilité et l'amour, la confiance dans les volontés de Dieu ; c'est ce qu'annonce le prêtre Pierre, avec la venue de l'homme nouveau.
Le Livre des pèlerins polonais (Ksiŗegi narodu polskiego i pielgrzymstwa polskiego, 1832) formule ce message moral et politique de façon explicite. Composé en versets de type biblique, faisant appel aux paraboles, il propose un programme de régénération intérieure et d'action militante au service du messianisme : la Pologne est le Christ des nations, l'étendue de ses souffrances est le signe de sa vocation et l'assurance de sa résurrection. Elle est appelée, dans un monde corrompu par l'esprit de lucre et par la soif de puissance, à faire triompher, pour le bénéfice de toute l'humanité, le règne de l'esprit et de la foi.
Monsieur Thadée (Pan Tadeusz, 1834), l'un des derniers grands poèmes épiques, unit la grande histoire – espérances éveillées par les légions de Dombrowski, puis par le passage en Lituanie de la Grande Armée en marche contre le tsar – et le ton plus familier d'une aventure d'amour avec, comme fond de tableau, la vie de la petite noblesse polonaise dans ses gentilhommières, et ses coutumes sarmates qui achevaient alors de disparaître : Walter Scott coudoie dans ce poème polyphonique Goethe et Homère.
Comme Lamartine à la même époque, Mickiewicz abandonne de plus en plus la poésie pour l'action politique. Dans ses vingt dernières années, un court poème (paraphrase du Veni Creator, distiques inspirés de Böhme et d'Angelus Silesius, fable ou épigramme satirique sur tel ou tel individu ou groupe de l'émigration parisienne) vient de temps en temps prouver que Mickiewicz garde la plénitude de son élan lyrique et aussi de son don d'humour. Mais ce ne sont que quelques pages en face des tomes épais du Cours de littérature slave, des articles de la Tribune des peuples ou des écrits concernant la secte de Towiański.
Par son âge, Mickiewicz, comme Pouchkine et Lamartine, est de ceux qui ont, adolescents, admiré Voltaire et Parny (fragment de traduction de La Pucelle, début d'un poème héroï-comique sur la pomme de terre, etc.), avant d'avoir la révélation romantique : Mickiewicz lut Schiller dans le texte, puis Byron en traduction française. Mais le byronisme n'aura pas sur lui l'emprise qu'il exercera sur les plus jeunes, comme le Russe M. I. Lermontov et J. Slowacki. Tant dans la pensée que dans la langue de Mickiewicz, critiques et érudits s'efforcent toujours de doser,[...]
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Écrit par
- Jean BOURRILLY : professeur à l'université de Paris-IV
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