ADAPTATION Adaptation biologique
Homoplasies et exaptations
L'adaptation des structures aux fonctions qu'elles accomplissent s'exprime par une conséquence bien connue en biologie et en paléontologie : l'existence de parallélismes ou de convergences entre des organismes non apparentés mais semblablement adaptés. Il se crée ainsi des « ressemblances trompeuses » entre les organismes adaptés à des modes de vie similaires (ressemblance superficielle du dauphin, de l'ichthyosaure et du requin, par exemple). On utilise à présent le terme général homoplasie pour désigner tous ces phénomènes, qui sont d'ailleurs connus à toutes les échelles d'intégration du vivant. En biologie comme en technologie, il semble donc n'exister qu'un nombre limité de solutions structurales à un problème fonctionnel donné. En ce sens, les homoplasies, loin de constituer seulement un embarras pour le systématicien, renseignent sur les types de relations nécessaires entre les structures et leurs fonctions, et donc sur les mécanismes adaptatifs.
On peut comprendre comment la sélection naturelle préside au développement, à la spécialisation ou à la réduction de structures organiques déjà présentes ; mais comment réalise-t-elle des nouveautés ? Comment la sélection naturelle pourrait-elle « voir », et à plus forte raison favoriser et accroître une nouvelle structure organique qui, au tout début de sa différenciation, ne possède pas encore de fonction biologique significative ? Comment un « début » d'aile, encore incapable de sustenter l'animal, serait-il favorisé par la sélection ?
La réponse paraît se situer dans le caractère complexe de la relation entre les structures et leurs fonctions en biologie : une structure donnée peut en effet avoir plusieurs rôles, et c'est sur ce potentiel que semble jouer la sélection naturelle dans le cadre des grandes innovations évolutives. L'idée générale est celle d'un changement majeur des fonctions de structures préexistantes, dans le contexte de nouvelles conditions de milieu. Dans l'entre-deux-guerres, le biologiste français Lucien Cuénot (1866-1951) avait déjà élaboré ce concept, sous le nom de « préadaptation ». Cette idée a été reprise et amplifiée en 1982 par Gould et Elisabeth Vrba, qui la désignèrent par un nouveau terme, celui d'« exaptation », préférable à celui de Cuénot, car exempt de toute équivoque finaliste.
Dans l'exaptation, il y a donc réutilisation et modification « opportuniste », par la sélection naturelle, de structures déjà présentes qui vont voir leurs fonctions modifiées dans un nouveau contexte écologique, répondant à de nouvelles pressions sélectives. Parmi les grandes « innovations évolutives » qui ont pu être réinterprétées avec succès dans l'optique de l'exaptation se situe, par exemple, l'origine des pattes marcheuses des vertébrés terrestres (tétrapodes) au Dévonien. De proches parents aquatiques des premiers tétrapodes avaient déjà différencié des nageoires paires dont la structure interne était celle d'une patte : sans doute s'en servaient-ils pour marcher sur le fond. Cette structure a été secondairement « exaptée » à la locomotion terrestre chez les tétrapodes. L'exaptation est donc une adaptation plus ou moins spectaculaire d'une structure préexistante à une nouvelle fonction : on y retrouve l'idée de « bricolage » de l'évolution.
Adaptations et exaptations sont des concepts étroitement complémentaires, nécessaires à la compréhension de l'évolution et de ses mécanismes.
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Écrit par
- Armand de RICQLÈS : professeur au Collège de France, chaire de biologie historique et évolutionnisme
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