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ADDISON JOSEPH (1672-1719) & STEELE RICHARD (1672-1729)

Leur amitié s'inscrit aux sources du journalisme moderne. Leur journal, le Spectator, est bien plus que l'univers savoureux de personnages fictifs car Addison et Steele y ont inventé tous les aspects d'un grand journal, dans ses formules comme dans le souci du lecteur ; ce sont les premiers architectes d'une puissance nouvelle : l'opinion publique.

La critique contemporaine a voulu dissocier ces deux noms que la postérité avait unis. Elle s'est efforcée de rendre à chacun son dû et, surtout, de dégager l'originalité de Steele qu'éclipsait la gloire de son redoutable ami. Or, la lecture des pages consacrées à l'un crée toujours un appel d'air vers l'autre. On ne comprend bien Steele qu'en étudiant Addison, et Addison qu'en interrogeant Steele. Les deux hommes se définissent l'un l'autre.

Vies parallèles

Déjà leurs vies offrent un étrange parallèle et peuvent se reconstituer en contrepoint. Ils sont nés la même année : Steele, au début de mars 1672, Addison, au début de mai. Ils furent internes dans la même école et fréquentèrent ensemble Oxford. Ensuite, leurs voies divergent ou plutôt s'espacent. Steele s'engage dans la garde royale et, grâce à ses protecteurs whigs, devient capitaine. Addison, plus pauvre et plus studieux, passe ses examens et est élu fellow de Magdalen College.

C'est dans un cercle whig où se prépare la succession protestante, le Kit Kat Club, que les deux amis se retrouvent, à l'aube du siècle des Lumières. Steele a déjà publié un petit traité de morale, le Christian Hero (1701), où il prêchait des règles de conduite assez différentes de celles qu'il pratiquait : « Faites comme je dis et non comme je fais. » Il donne trois comédies d'un genre nouveau, où il prétend substituer au rire une émotion plus délicate. La première, The Funeral (1701), enterre la comedy of manners et ressuscite un riche seigneur pour la plus grande confusion d'une veuve trop prompte à se réjouir. La deuxième, le Lying Lover (1703), nous raconte les aventures et la conversion d'un menteur qui rappelle un peu celui de Corneille. Dans la troisième, The Tender Husband (1705), on voit un fils tyrannisé par son père épouser un « don Quichotte en jupons », et un époux tenter sa femme par l'entremise d'un ami, dont l'échec suscitera une exquise réconciliation conjugale.

Cette dernière pièce est précédée d'un prologue d'Addison. Le public en goûta fort les nuances élégantes. L'ami de Steele émergeait d'une période difficile. Il avait tâté de la mansarde et du pain sec des écrivains à gage. Du moins se familiarisa-t-il avec les bruits et les spectacles de la grande métropole où tous les voiliers du monde balançaient leur mâture. Puis la fortune lui ouvrit ses portes. Le sésame fut un poème, The Campaign (1705), qui célébrait en vers assez froids les victoires de Marlborough dans les Flandres. Les mécènes du Kit Kat en furent si ravis qu'ils confièrent au poète une sinécure dans les douanes. Au même moment, Steele, dont les pièces flattaient une certaine sentimentalité bourgeoise, devenait lecteur du prince Georges de Danemark.

Alors s'ouvre pour les deux hommes la période la plus brillante de leur carrière. Sans doute, sur le plan politique, leur fortune suit-elle les fluctuations du parti whig dans les dernières années du règne d'Anne Stuart. Après la mort du prince Georges, Richard Steele est nommé directeur de la presse du royaume ; il se lance dans le journalisme à titre public et privé. Addison suit en Irlande lord Wharton en qualité de conservateur des Archives de Birmingham Tower. Il mène là une vie littéraire et mondaine, se lie avec Swift dont il ne partage pourtant pas les opinions. Il caresse un projet de mariage avec une jeune personne propriétaire de plantations. Sur ce chapitre,[...]

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