ABDESSEMED ADEL (1971- )
L'expérience des limites
Adel Abdessemed célèbre, à sa manière, les émeutes des banlieues de 2005 avec trois voitures en terre cuite noircies par le feu (Practice Zero Tolerance, 2006 et 2008). Cette pièce transpose sous forme de sculpture les images de presse des événements, jouant sur des modifications matérielles riches de sens : la fragilité de la terre cuite évoque les contradictions internes d'un corps social dont les émeutes ont fissuré la fausse solidité.
Dans Coup de tête (2011), c'est encore une fois le geste de quelqu'un qui est sorti des limites de la loi qui constitue le matériau énergétique de la pièce d'Abel Abdessemed. En frappant Marco Materazzi, Zinedine Zidane a abandonné pour un instant sa maîtrise légendaire. Il s'est laissé traverser par une impulsion qu'il a déchargée aussitôt, perdant d'un seul coup le match et sa renommée d'homme sage. L'artiste a coulé dans le bronze ce geste inouï pour figer l'élan extatique qui relie les deux corps, prémisse à la chute imprévisible du héros. À travers la célébration monumentale du coup de tête, l'œuvre célèbre un moment d'émergence du contingent dans un monde gouverné par un régime de l'assurance et de la prévision, qui a fait des « guerres préventives » son trait le plus caractéristique.
Cette interprétation pourrait paraître excessive si d'autres travaux ne venaient en confirmer le fondement, il s'agit notamment des pièces qui évoquent à leur tour « l'état d'exception », comme le remarque dans le catalogue Patricia Falguière. Certaines vidéos font apparaître le visage brutal de la mise à mort des animaux (Don't trust me, 2008), mais aussi celles qui montrent plus ou moins explicitement l'effacement de la limite entre l'homme et l'animal. Dans la vidéo Lise (2011) une jeune femme allaite un petit cochon ; dans la sculpture Décor (2011-2012), les quatre Christ, en référence au retable d'Issenheim de Matthias Grünewald, sont faits avec le même fil barbelé qui enferme les prisonniers de Guantanamo dans une situation de non-droit qui les réduit à une condition de vie inhumaine, une vie « nue », comme le disait Hannah Arendt.
Citoyen du monde et solidement enraciné dans sa culture d'origine, Adel Abdessemed parle du monde sans se priver d'aucun moyen disponible pour réveiller notre imagination et notre intelligence de l'apathie et du cynisme. Il est l'auteur d'une œuvre dont la prise de risque est la règle unique, la seule qui, dans sa perspective, garantit et renouvelle la force de l'art.
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Écrit par
- Giovanni CARERI : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
Classification
Autres références
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SCULPTURE CONTEMPORAINE
- Écrit par Paul-Louis RINUY
- 8 011 mots
- 4 médias
...George Segal et crée un malaise toujours renouvelé. Porteurs d’un esprit d’ironie ou de détournement parodique, Xavier Veilhan (Rhinoceros, 1999-2000) ou Adel Abdessemed, dont le Coup de tête (2012) renvoie au célèbre geste de Zidane lors de la Coupe du monde de football de 2006, expriment le caractère...