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ADMINISTRATION La science administrative

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La science administrative offre à l'heure actuelle l'image contrastée d'une discipline en plein essor et qui, pourtant, n'est pas encore parvenue à définir clairement son objet, sa visée et ses méthodes. Cet essor, dont témoigne la floraison d'ouvrages, de colloques, de rencontres internationales placés sous le signe de la science administrative, et qui tient à l'intérêt croissant que suscitent les problèmes d'administration dans une perspective tant pratique que théorique, se manifeste notamment par l'extension progressive de son champ géographique : née en Europe à l'époque de la formation de l'État moderne, la science administrative s'est acclimatée, ensuite, avec des caractéristiques un peu différentes, aux États-Unis, avant de s'implanter dans l'ancien bloc socialiste et enfin dans les pays du Tiers Monde.

Cette effervescence, qui dénote une incontestable vitalité et permet un enrichissement constant, a toutefois pour contrepartie l'éclatement de la science administrative, divisée en courants multiples, écartelée entre des conceptions opposées. Longtemps assimilée à l'art de bien administrer, et considérée comme une science appliquée regroupant l'ensemble des connaissances concrètes nécessaires à l'administrateur, la science administrative tend aujourd'hui à se définir comme une science sociale poursuivant la connaissance désintéressée et théorique des phénomènes administratifs, sans que toute trace de la conception antérieure ait été pour autant effacée. De même, son domaine d'investigation s'est différencié, l'administration publique ne retenant plus seule l'attention et subissant la concurrence d'un objet d'étude à la fois proche et différent : l'organisation.

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L'élargissement du champ scientifique recouvert par la science administrative, s'il se révèle, à terme, positif, se traduit pour l'instant par la coexistence en son sein de courants parallèles qui s'ignorent et se développent de façon autonome ; de sorte qu'une des tâches les plus urgentes de la science administrative devrait consister à rétablir la cohérence et l'unité de sa démarche, dont dépendent son évolution future et la fécondité de ses résultats.

L'élargissement progressif du champ de la science administrative

À l'origine, la science administrative est, sans doute possible, la science de l'administration publique, ce qui s'explique fort bien compte tenu du contexte historique et politique dans lequel elle prend naissance : l'apparition d'une science appliquée de l'administration, ancêtre de la science administrative, coïncide en Europe avec la mise en place de structures étatiques et administratives modernes, à laquelle elle a, du reste, pour objet de concourir ; et l'existence, dans des pays comme la France ou l'Allemagne, d'une tradition administrative ancienne et profondément ancrée contribue en retour à asseoir l'idée d'une spécificité absolue de l'administration publique, que conforte sa soumission à un régime juridique exorbitant du droit commun.

En revanche, là où l'administration étatique s'est constituée tardivement et ne fait l'objet d'aucune valorisation particulière, rien ne justifie plus de lui consacrer une place à part et privilégiée, ni d'opérer une séparation rigide entre l'étude de l'administration publique et l'étude de la gestion des organismes privés, qui représente une autre forme concevable d'administration. C'est sur la base d'un tel parallélisme, transcendant la distinction traditionnelle entre public et privé, que se sont développées, aux États-Unis d'abord puisque le terrain y était plus favorable, des recherches centrées autour du thème de l'organisation (« administrer, c'est organiser », disait Henri Fayol), qui introduisent un changement radical de perspective dans le domaine de la science administrative.

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Surgissant simultanément dans des domaines très divers, ce thème semble traduire une préoccupation commune aux hommes politiques (cf. la conception communiste du parti, avant-garde organisée du prolétariat et fer de lance de la révolution), aux sociologues (cf. l'analyse du modèle d'organisation bureaucratique par Max Weber) et aux praticiens de la gestion comme Taylor ou Fayol, précurseurs du management moderne : Taylor cherche à fonder scientifiquement l'organisation du travail dans l'entreprise afin d'obtenir un rendement optimal et un profit maximal, Fayol s'attache surtout au perfectionnement d'une « fonction administrative » présente au même titre dans le secteur privé et le secteur public et devant, selon lui, s'inspirer des mêmes principes.

À partir de ces apports assez hétéroclites, une nouvelle discipline va progressivement se constituer et tendre à recouvrir, au moins aux États-Unis, tout le champ des études administratives, concurrençant et même supplantant la science traditionnelle de l'administration publique. L'interrogation centrale de la science des organisations n'est plus : quelles sont les fins et les objectifs de l'administration, quelles prérogatives spécifiques convient-il de lui reconnaître pour qu'elle puisse remplir correctement sa mission au service de l'intérêt général ? Mais, qu'est-ce qu'une organisation, selon quels principes est-elle structurée et quels processus s'y déroulent, comment rendre son fonctionnement plus satisfaisant, c'est-à-dire à la fois plus harmonieux et plus efficace ? L'attention se déplace, on le voit, des missions externes vers l'organisation et la gestion internes, et les homologies structurelles entre les organisations du secteur privé et celles du secteur public, au lieu d'être minimisées, sont au contraire systématiquement relevées en vue de parvenir à une théorie générale du fonctionnement des organisations de toute nature : on s'efforce ainsi de mettre en lumière, au-delà de ce qui est spécifique à chaque institution, les mécanismes par lesquels elles résolvent les problèmes de coopération, d'intégration et d'adaptation qui se posent partout de façon similaire. La théorie des organisations se veut à la fois pluridisciplinaire et synthétique, regroupant des travaux réalisés dans des perspectives très différentes et jusque-là répartis en plusieurs sphères : public administration, business management, psychosociologie des relations industrielles, sociologie de la bureaucratie...

Avec un temps de retard, l'approche organisationnelle s'est finalement acclimatée aussi en Europe, en partie sous l'effet de l'interventionnisme croissant de l'État qui a contraint à accorder une attention accrue aux problèmes d'organisation et de gestion et à ne plus considérer comme hérétique l'idée d'emprunter au secteur privé ses méthodes, en partie par le biais de l'influence qu'exerce la sociologie américaine des organisations sur les sociologues européens, notamment en France. Cette approche nouvelle n'a toutefois pas pris la même extension qu'outre-Atlantique, et surtout elle n'a pas fait disparaître la conception traditionnelle d'une science administrative centrée exclusivement sur l'administration publique, qui demeure extrêmement vivace.

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  • : professeur de droit public et de sciences politiques à l'université d'Amiens
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