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HARNACK ADOLF VON (1851-1930)

Les critiques : de Loisy à Bultmann

Ce manifeste fut diversement reçu. Si les milieux du protestantisme libéral l'accueillirent très favorablement, il trouva immédiatement des adversaires nombreux. Il n'est pas étonnant que le luthéranisme allemand officiel se soit opposé aux thèses de Harnack. Mais la grande attaque vint du modernisme catholique français. Loisy répondit à Harnack dans son célèbre petit livre L'Évangile et l'Église. Il montrait fort justement que le savant allemand oblitérait la dimension eschatologique du christianisme en l'intériorisant totalement, alors qu'en réalité les premiers chrétiens attendaient vraiment la fin des temps. L'avènement du royaume de Dieu ne doit pas être confondu avec la conversion des hommes. Il consiste en un « événement » indépendant des hommes et que ceux-ci attendent dans l'optique d'une mentalité juive qui est un fait historique et doit être étudiée comme tel. Loisy oppose donc les aspects historique et sociologique de l'Évangile au caractère « intemporel » du message chrétien, tel qu'il est conçu par Harnack. Mais il y a un autre aspect, plus important encore, dans le livre de Loisy. À son adversaire, qui croit pouvoir atteindre le message évangélique à l'état pur, Loisy oppose la médiation obligatoire de la «   tradition » – en fait l'Église. « On ne connaît le Christ que par la tradition, à travers la tradition, dans la tradition chrétienne primitive. » Loisy n'en fut pas moins condamné par Rome.

Les autres savants catholiques furent, eux aussi, les adversaires de Harnack. C'est ainsi que Pierre Batiffol écrivit L'Église naissante et le catholicisme (1909) pour souligner les liens entre l'Évangile et l'Église et mettre en relief l'ancienneté des structures liturgique et hiérarchique dans le christianisme. Mais il est remarquable que, dans l'ensemble, les catholiques eurent à l'égard de Harnack une attitude assez ouverte car, par ses travaux d'historien, il apportait en faveur des positions catholiques une masse d'arguments, fondés sur l'antiquité et l'authenticité des documents chrétiens primitifs et spécialement des textes du Nouveau Testament.

Du vivant même du maître, des réactions très nettes se manifestèrent au sein du protestantisme allemand, même dans les milieux dont il était proche. Karl Barth, qui avait été son collaborateur à la revue Die Christliche Welt, se détacha progressivement de lui pour revenir à une « dogmatique chrétienne » qui était aux antipodes des thèses de Harnack. Quant à Rudolf Bultmann, s'il semble avoir puisé l'idée du Kérygme dans la notion d'« essence du christianisme », il lui donne un contenu infiniment plus riche et il l'étudie sous un éclairage historique et sociologique, dont Harnack avait tendance à faire abstraction.

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Écrit par

  • : professeur à l'Université libre de Bruxelles

Classification

Autres références

  • MODERNISME, catholicisme

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