APPIA ADOLPHE (1862-1928)
Un spectacle à trois dimensions
Selon Appia, le théâtre se présente comme une synthèse d'éléments : texte, jeu de l'acteur, décor, éclairage, musique, et non comme une synthèse d'arts. De cette distinction procède son indépendance artistique, le théâtre cessant d'être soumis aux exigences d'un art quel qu'il soit, de la littérature en particulier : réaction que l'on retrouvera chez un Baty ou un Artaud. Mais qui dit synthèse dit unité, harmonie. L'élément qui permettra de réaliser l'unité, l'harmonie, sera la musique. Si le théâtre est fait de mouvement, la musique, précisément, est mouvement de deux manières : par son privilège d'exprimer la vie affective, et de se dérouler dans le temps. La musique possède, en outre, par l'intermédiaire du corps de l'acteur, le pouvoir de projeter dans l'espace les sentiments et leur durée. Mais le corps de l'acteur a trois dimensions, son utilisation devant un décor à deux dimensions est contestable. Au décor peint doit se substituer – toujours selon Appia – un dispositif construit, architecturé, constitué d'escaliers et de plates-formes donnant aux mouvements de l'acteur tout leur pouvoir d'expression. Dans cette perspective, Appia écrit : « La composition de l'espace ne disposera que d'un petit nombre de lignes. Ce seront : l'horizontale, la verticale, l'oblique (plan incliné) et leurs combinaisons, tel, par exemple, l'escalier qui offre au corps un genre de complicité à laquelle aucune autre combinaison ne peut prétendre » (Art vivant ou nature morte, catalogues des expositions de théâtre d'Amsterdam, janvier 1922, et de Milan, 1923). Cette conception est à l'origine même du constructivisme et des plantations du théâtre expressionniste, de la tendance architecturale de la scénographie moderne avec des décorateurs et des metteurs en scène comme Gémier, Stanislavski, Meyerhold, Taïroff, Jessner, Copeau, Lee Simonson, et, plus près de nous, Allio et Acquart. À bien des égards, ces mêmes conceptions ont inspiré Wieland Wagner à Bayreuth. Pour Appia, l'éclairage scénique ne doit plus se limiter à rendre visible le décor au détriment de l'acteur. Sa fonction est de mettre en valeur le corps et le visage de l'acteur ; ses pouvoirs dramatiques, éventuellement accrus par des projections, ont été définis avec précision par Appia et ont été exploités après lui par Erler, Reinhardt, Baty et bien d'autres.
Certains des essais d'Appia, et certaines de ses mises en scène écrites, encore inédits, prolongent les développements publiés jusqu'à des limites que les théories les plus audacieuses n'ont pas atteintes. Considérant que le drame antique était un « acte », Appia, avant Artaud et Augusto Boal, exprime avec force le souhait que les spectateurs cessent de se placer « vis-à-vis de l'art pour devenir acteurs et, finalement, faire participer l'art à leur vie ». « Tôt ou tard, écrit-il, nous arriverons à ce que l'on appellera la Salle cathédrale de l'avenir, qui, dans un espace libre, vaste, transformable, accueillera les manifestations les plus diverses de notre vie sociale et artistique, et sera le lieu par excellence où l'art dramatique fleurira avec ou sans spectateur. » Cette conception, qui se relie à celle des grands festivals organisés en Suisse romande, oblige à renoncer à la division entre scène et salle, à l'édifice théâtre pour ne conserver qu'une création et une exécution collectives sur un grand thème social.
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Écrit par
- André VEINSTEIN : professeur à l'université de Paris-VIII
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