BRAUN ADOLPHE (1812-1877)
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La maison photographique fondée par Adolphe Braun à Dornach en 1853 est significative, dans sa production et son industrialisation progressive, des préoccupations de l'époque. Créée dans l'esprit des entreprises Blanquart-Evrard, Bisson Frères et Goupil & Cie, elle comptera pendant plus d'un siècle parmi les plus grandes maisons d'édition d'art.
Adolphe Braun est né à Besançon en 1812. Dessinateur sur étoffes formé à Paris (1830-1834), il ouvre successivement plusieurs ateliers de dessinateurs (1834-1843) dans la capitale, publie en 1842 un Recueil de dessins servant de matériaux, destinés à l'usage des fabriques d'étoffes. En 1843, il s'installe à Mulhouse et travaille dans les ateliers de la firme de Dollfus-Ausset. Sous l'influence de ce dernier, Braun s'intéresse à la photographie, s'intègre durablement au milieu industriel mulhousien et ouvre en 1847 un nouvel atelier de dessin à Dornach. Il donne une place à la photographie, notamment avec la publication en 1854 de ses fameuses Fleurs photographiées. Braun est aussitôt loué pour la virtuosité de ses épreuves, inscrivant ainsi son nom dans l'histoire de la photographie naissante.
Sensible à l'émergence d'un intérêt pour le patrimoine qu'illustre la création en 1855 à Strasbourg de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace, Braun publie, en 1859, l'album de L'Alsace photographiée, qui offre un recueil de 120 épreuves albuminées de grand format rassemblant les sites, les paysages et les édifices les plus connus de sa région. L'ouvrage se situe dans la lignée des albums illustrés de photographies originales édités par Blanquart-Evrard et les frères Bisson. Braun va se consacrer dès 1860 à l'exploitation commerciale de vues architecturales et touristiques, essentiellement consacrées à la Suisse et à la Savoie, puis à l'Allemagne et au Tyrol. D'autres pays – la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie – quelques régions et villes françaises (le Midi, l'Isère, Paris et Versailles) sont abordés dans une moindre mesure. Des paysages, des vues urbaines, des monuments sont ainsi diffusés dans une variété extraordinaire de formats, depuis la stéréoscopie (diffusée par Alexis Gaudin) jusqu'au format panoramique, très prisé. Ces productions, menées de front dans l'entreprise familiale à laquelle participe son père Samuel, son frère Charles (1815-1892) et son fils Gaston Braun (1845-1928) ainsi que l'opérateur Jean-Claude Marmand, formé par les frères Bisson, sont un réel succès et fondent immédiatement la renommée internationale de la maison Braun.
Entre-temps, Adolphe Braun réalise, à partir de 1867, une série de Panoplies de gibier, en 1869 une série de Costumes de Suisse, et en 1871 deux séries, Théâtre de la guerre et l'Alsacienne et la Lorraine en costume. À l'occasion de l'ouverture du canal de Suez (1869), Gaston Braun fait un voyage en Égypte, durant lequel il se lie au critique Charles Blanc, qui deviendra un admirateur inconditionnel de l'œuvre de Braun. Le catalogue de la maison annonçait, en 1870, 80 vues d'Égypte et 60 vues stéréoscopiques. Mais Braun ne put jamais rivaliser avec les luxueuses publications des précurseurs de la photographie orientale, Maxime Du Camp ou Félix Teynard.
Durant la dernière décennie de sa vie, Adolphe Braun va consacrer ses efforts à la reproduction d'œuvres d'art, pratique qui devient le fer de lance de la maison et fera sa réputation dans le monde entier. Braun se spécialise dès 1862 dans la reproduction systématique de dessins de maîtres anciens disséminés dans les collections publiques et privées. Les artistes les mieux représentés sont Holbein le Jeune, Raphaël, Michel-Ange et Léonard de Vinci. Braun envoie son fils Henri Braun (1837-1876), peintre de formation, diriger les campagnes de reproduction de sculptures et de peintures à travers les musées d'Europe. Braun espère en tirer un profit financier qui lui permettrait de rivaliser avec les frères Alinari et avec Goupil. Il rassemble ainsi en une dizaine d'années plus de 500 000 plaques constituées en collections homogènes et publiées en livraisons ou en albums, par musée ou par artiste (chapelle Sixtine, musée des Offices, Louvre, British Museum, Théodore Rousseau, etc.), destinées aux artistes, aux écoles d'art, aux universités, aux amateurs d'art, et à un large public. Conseillé par son ami le critique d'art Paul de Saint-Victor, Braun constitue ainsi les fondements du musée imaginaire.
Cette grande capacité de production est rendu possible grâce au recours aux techniques les plus avancées. Braun adopte, à partir de 1866, le procédé au charbon à « double transfert » du Britannique J. W. Swan (1828-1914), une amélioration de la technique inventée en 1855 par Alphonse Poitevin (1819-1882), assurant l'inaltérabilité des épreuves. Il se dote également de la première machine à vapeur qui régit l'ensemble de la fabrication et le traitement du papier au charbon. Il prépare lui-même les différents colorants qu'il diversifie – sépia, brun, jaune, bleu, rouge – dans le but de réaliser de véritables fac-similés des dessins de maîtres. Le cliché négatif reste le traditionnel collodion sur verre, dont ses opérateurs, tel Marmand, étaient reconnus pour leur dextérité. En 1872, Braun utilise le procédé de tirage photoglyptique (un tirage aux encres grasses, à partir d'une matrice en plomb), puis, à partir de 1876, il adopte la phototypie qui lui permet de baisser sensiblement le prix des épreuves afin de les rendre accessibles aux écoles de dessin. La qualité de ses collections valent en 1885 à la maison Braun une franchise exclusive de trente ans comme photographe officiel du musée du Louvre.
La maison Braun assura la diffusion de ses images grâce à des succursales établies à Paris, 14, rue Cadet (1868), 1, rue Aubert (1871), et 3, boulevard des Capucines (1872) dans l'ancien atelier de Louis Pierson. Ce dernier travaille avec Gaston sous la raison sociale Pierson et Braun fils, qui devient en 1874 Ad. Braun et fils, et en 1876 Ad. Braun & Cie, avec l'installation d'un nouveau magasin, au 43, avenue de l'Opéra. En 1889, elle devient Braun, Clément & Cie, et installe un second magasin au 18, rue Louis-le-Grand. En 1910, elle prend le nom de Braun & Cie, se dote d'un nouveau local, au 11, boulevard des Italiens, et d'une succursale à New York et à Londres (après 1911). Les éditions Braun furent en activité jusqu'en 1968.
Bibliographie
L. Boyer, Adolphe Braun (1812-1877) et la reproduction photographique des œuvres d'art, mémoire de maîtrise, université de Strasbourg-II, 1998 ; Image and Entreprise : The Photographs of Adolphe Braun, catal. expos., Museum of Art, Rhode Island School of Design, Providence, États-Unis, 2000
C. Kempf, Adolphe Braun et la photographie, 1812-1877, Lucigraphie-Valblor, 1994
N. Rosemblum, « Adolphe Braun, Revisited by N. Rosemblum », in Image, no 32, Rochester, International Museum of Photography at G. Eastman House, 1989.
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Écrit par
- Laure BOYER : historienne de la photographie, D.E.A. d'histoire de l'art, chargée de cours à l'université de Strasbourg-II
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