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FOUÉRÉ ADOLPHE JULIEN (1842-1910)

C'est à l'âge de quarante ans que l'abbé Fouéré, plus généralement désigné comme « l'ermite de Rothéneuf » ou « l'ancien recteur » par les autochtones, entreprend de sculpter les rochers du rivage de l'une des avancées du littoral breton entre l'estuaire de la Rance et la baie du Mont-Saint-Michel. Le thème qu'il choisit de traiter, c'est l'évocation de la famille quasi légendaire des Rothéneuf, qui régna sur ces parages du xvie siècle à la Révolution, ainsi que des personnages singuliers de son entourage : gentilshommes, dames, hommes d'armes, serviteurs dévoués, magiciens, tous pourvus par la tradition d'un nom ou d'un sobriquet. Ce faisant, l'abbé Fouéré poursuit une « lecture du paysage rocheux inaugurée depuis des siècles par la population locale qui a déjà décerné bon nombre de ces noms et sobriquets aux divers accidents du relief de la côte avoisinante ». S'il est fréquent de voir donner des appellations concrètes à des rocs, à des îles, à des baies, à des promontoires, à des falaises, il est exceptionnel que pareille désignation soit en relation intime avec l'histoire et la légende d'une famille, comme si les lieux avaient été définitivement et indissolublement marqués par l'implantation de celle-ci. Il est encore plus extraordinaire qu'une telle interprétation du paysage qui demeure passive puisqu'elle ne fait intervenir que l'imagination contemplative, en vienne à en susciter une autre, active cette fois, visant à infléchir le décor dans un sens inéluctable. Car il est hors de doute que l'abbé Fouéré prétendait beaucoup moins inventer la physionomie de ses personnages que la découvrir déjà largement ébauchée dans la configuration rocheuse du littoral où il ne s'agissait plus pour lui, en somme, que de mettre la dernière main. Les photographies de Gilles Ehrmann dans son beau livre Les Inspirés et leurs demeures (Paris, 1962) ne laissent aucun doute à cet égard, ni non plus certaines cartes postales montrant des troncs d'arbres sculptés par « l'ermite ». L'œuvre poursuivie pendant vingt-cinq ans (1882-1907) sensiblement dans le même temps que le « Palais idéal » (1879-1912) du facteur Cheval, témoigne autant que ce dernier de la vivacité et de la force de l'inspiration populaire délivrée de toutes les contraintes culturelles, officielles ou non. Elle occupe, en outre, une place originale dans l'histoire des sollicitations du regard par des configurations hasardeuses, naturelles ou provoquées, comme ces « murs barbouillés de taches » où Vinci affirmait que l'on pouvait « lire » des batailles ou des paysages. Il n'est pas non plus sans intérêt de remarquer que les visages qu'a suscités l'activité paranoïaque de « l'ancien recteur » offrent une parenté certaine avec les physionomies aux yeux globuleux de la statuaire celtique et de celle des calvaires bretons.

— José PIERRE

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres

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    ..., dans les paysages extatiques d'Ivan Rabuzin, dans les visions de Matija Skurjeni, dans les compositions luxuriantes d'Hyppolite, tout comme dans le Palais idéal édifié par Ferdinand Cheval à Hauterives (Drôme) ou les rochers sculptés par Adolphe-JulienFouéré à Rothéneuf en Bretagne.