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QUETELET ADOLPHE (1796-1874)

La formation de l'idée de physique sociale (1831-1835)

Les deux mémoires qui sont à la base de toutes les recherches ultérieures de Quetelet sur les faits sociaux sont parus tous deux en 1831. Ce sont d'abord les Recherches sur la loi de la croissance de l'homme, puis les Recherches sur le penchant au crime aux différents âges. L'idée centrale du second mémoire concerne la constance du « budget » du crime au fil des ans ; la priorité lui en a été contestée par le statisticien français Guerry, mais elle semble bien, après examen, devoir lui revenir. Un troisième mémoire, paru en 1833, porte sur le développement du poids. Quetelet avait clairement conçu à ce moment l'idée d'une « physique sociale ». Aussi, en 1835, regroupe-t-il, ses mémoires antérieurs pour en faire un volume intitulé Sur l'homme et le développement des ses facultés, avec ce sous-titre révélateur : Essai de physique sociale. Une deuxième édition augmentée paraît en 1869, les titre et sous-titre étant inversés. En guise de préface, Quetelet inclut dans la deuxième édition un long essai de l'astronome britannique J. Herschel paru dans l'Edinburgh Review (1850) et rendant compte en termes très favorables de certains de ses ouvrages, dont ses Lettres... sur la théorie des probabilités (1846). À la constance des taux de criminalité observés précédemment, il ajoute, en 1835, la démonstration de la régularité des suicides par année, et celle des taux de nuptialité par sexe et par tranche d'âge. Ces caractéristiques « morales » sont les seules dont il ait réellement fait la démonstration dans ses écrits.

Dès 1830, Quetelet a énoncé les principes théoriques généraux de sa statistique morale (on peut dire en langage moderne de sa sociologie). Ils établissent d'abord l'extrême régularité des phénomènes sociaux en général, avec pour corollaire l'idée que l'application des techniques statistiques permet d'établir l'existence de régularités empiriques, et que ces régularités sont dues à des causes : elles sont pour lui « de l'ordre des faits physiques ». Il jette ainsi un pont entre l'univers des lois physiques et celui des lois sociales. Ces considérations ont des conséquences éthiques et pratiques qui alimenteront les controverses autour de son œuvre dans le dernier tiers du xixe siècle. Sur le plan méthodologique, on peut aisément dégager de ses premiers écrits deux idées déterminantes. La première veut que « les causes (soient) proportionnelles aux effets qu'elles produisent » et s'applique facilement aux qualités physiques. L'autre affirme la nécessité de s'appuyer sur les grands nombres pour atteindre des conclusions valides – on en trouve clairement l'origine chez Laplace (1812), Fourier (1826) et Poisson (1837).

En 1838 paraît la 46e leçon du Cours de philosophie positive de Comte, qui « consiste à instituer aujourd'hui ce que j'ai nommé la physique sociale ». Une convergence remarquable entre ces deux auteurs semblait devoir les rapprocher, mais tout les sépare déjà et va les séparer de plus en plus. Ils sont de la même génération, tous deux ont l'ambition de fonder une science rigoureuse de la société en s'appuyant sur leur solide formation mathématique et physique, à laquelle s'ajoute une passion commune pour l'astronomie. Mais à cette date Quetelet fait déjà partie de l'establishment scientifique international, alors que Comte a déjà commencé sa longue série de déboires. J. Freund fait remarquer avec raison que le contraste de la vie et du caractère recouvre deux orientations de pensée fondamentalement opposées. Le point le plus crucial est celui du rôle des probabilités. On a vu l'importance que leur accordait Quetelet, qui d'ailleurs s'était prononcé sur ce point dès son [...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, directeur de recherche au CNRS

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Adolphe Quetelet - crédits : Royal Astronomical Society/ SPL

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