Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

WILLETTE ADOLPHE (1857-1926)

De tous les caricaturistes de son temps, Willette a été sans doute celui qui a connu l'activité la plus variée : décorations pour le Chat-Noir et l'auberge du Clou, verrière du cabaret le Veau d'or, peintures murales de la salle des Communications de l'Hôtel de Ville de Paris et, bien entendu, activités graphiques pour différents journaux dont le plus célèbre demeure Le Courrier français. Toutes ces manifestations associées au fait que leur auteur a été président-fondateur du Salon des humoristes semblent accréditer l'idée selon laquelle l'œuvre est placée sous le signe d'une certaine tradition française faite de légèreté et de grivoiserie. Les noms de Boucher et de Watteau ont été souvent prononcés à propos de Willette. On ferait volontiers de lui le chef de file des caricaturistes « légers » comme Albert Guillaume, Abel Faivre, Ferdinand Bac et Chéret, habituels exposants du Salon des humoristes. Et pourtant un examen attentif de ses productions nous révèle une œuvre empreinte d'ambiguïté. Ambiguïté au niveau du mode d'expression d'abord : sa peinture, murale la plupart du temps, reflète la dualité graphisme/chromatisme ; ambiguïté de son activité de caricaturiste rarement teintée d'esprit satirique, ensuite.

Caricaturiste, il se défend d'ailleurs de l'être. Peut-on appeler « caricatures » ces silhouettes aimables de grisettes, ses nus plus grivois qu'érotiques ? Le trait façonne le sujet avec précision et trahit un goût pour le modelé traditionnel, ou bien, feignant la maladresse, donne l'impression de l'inachevé.

L'identification de l'artiste au personnage de Pierrot, dans le costume duquel il aime se montrer, renforce l'impression d'apesanteur que donne l'œuvre. Et cependant tous ces signes, toutes ces évidences pourraient bien dissimuler une réalité douloureuse. Certains dessins très dramatiques que Willette publie dans Le Courrier français, par exemple, déchirent brutalement l'image rassurante qu'il s'efforce de donner de lui. Un dessin comme Pour le roi de Prusse projette tout à coup une ombre sinistre sur toutes les grisettes et toutes les farandoles du bal des quat'zarts. Les histoires de Pierrot que Willette fabrique pour le théâtre d'ombres du Chat-Noir et qui font l'objet de transpositions dans des « suites » de dessins connaissent souvent un déroulement douloureux et une fin dramatique. On peut voir le « doux » Pierrot, torturé par l'indifférence de Colombine, passer de l'état d'homme implorant à celui de squelette. Dans le journal qui a précisément pour titre Le Pierrot et qui aura une existence éphémère, les allégories macabres abondent. Sous un dessin représentant la mort on peut lire : « Le premier prix de beauté, c'est elle ... la mort ! » Le Pierrot que l'artiste affecte d'être est bien le personnage dont il conte les mésaventures et les morts.

Incertitude quant à son identité, hantise du vieillissement et de la souffrance semblent être les causes de tant de « légèreté » affirmée. Quand on apprend que le « doux » Pierrot se présente aux élections législatives de 1889 comme « candidat antisémitique » (cinq ans avant que n'éclate l'affaire Dreyfus !), on peut s'interroger sur le sens qu'il convient de donner au mot « légèreté ». Cet antisémitisme n'est pas exceptionnel dans son milieu, il n'en révèle pas moins une agressivité active, étonnante chez un homme que ses contemporains ne cessent de montrer comme l'illustration vivante de son œuvre. Et sans doute cette confusion est-elle bien la clé de toute son existence. En proie à l'incertitude d'être, Willette aspire à une identité sous les apparences d'une image fictive qui accuse le caractère dérisoire de la vie. Il en est de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • CARICATURE

    • Écrit par
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    ...mécontentement va souvent de pair avec le confusionnisme politique. Au cours de l'affaire Dreyfus, les caricaturistes ( Forain, Léandre, Caran d'Ache, Willette), qui prenaient l'ordre bourgeois pour cible, n'ont pas hésité à confondre ce dernier avec les Juifs. La simplification de leur graphisme est...