ADONE, Giovanni Battista Marino Fiche de lecture
L'Adone, qui compte cinq mille trente-trois vers, répartis en vingt chants comportant un nombre inégal de strophes, est l'un des poèmes les plus longs et les plus controversés de la littérature italienne. Giovanni Battista Marino (1569-1625), dit le Cavalier Marin, avait travaillé à sa rédaction pendant près de vingt ans, et, au soir de sa vie, il le publia à Paris, le 24 avril 1623. Le frontispice et cette fort belle édition (format, qualité du papier et de la typographie) disaient, non sans quelque ostentation, le rang auquel Marino avait élevé la poésie en langue italienne à la cour de France et, en retour, sa libre allégeance au roi Louis XIII. Sans doute pour prendre de vitesse la censure romaine, dont il prévoyait, non sans raison, qu'elle pourrait s'offusquer, il se hâta de faire imprimer son « poème » à Venise, où il parut à l'automne. Quelques mois après, le 11 juin 1624, l'Adone était mis à l'index, en dépit des négociations que l'auteur avait entreprises avec les censeurs. Ce qu'il appelait alors des « bagatelles » et pour lesquelles il plaidait l'indulgence, désignait vraisemblablement ces passages où il mêle et emmêle mythologie chrétienne et mythologie païenne, érotisme et mysticisme, lesquels participaient, en vérité, d'une audace et d'une ambiguïté telles qu'ils ne pouvaient espérer trouver grâce aux yeux de l'orthodoxie romaine. Davantage encore que ne le pouvaient « quelques menues lascivités », dont Marino reconnaissait bien volontiers que son poème n'était point exempt. Surtout si l'on voulait bien considérer, expliquait-il à ses futurs censeurs, que cette « lascivité » – à l'enseigne de laquelle loge en réalité tout le poème – n'a « d'autres fins que la moralité »...
Une épopée baroque
Ambiguë, ambivalente, la poésie de l'Adone compte l'insaisissable Protée parmi ses ascendants. Ainsi se présente, par exemple, le protagoniste qui, « telle une vierge simple et pure », « s'égare » lorsque Vénus lui apparaît dans son éblouissante nudité : « Elle, parmi le vert du clos ombreux/ toute timide restant à l'écart,/ cache et fait voir ses farouches appas/ à la fois retirée et se livrant./ Elle pâlit et montre ses pâleurs :/ chaque geste fortuit est calculé. » Il n'est pas douteux que cette écriture contournée ne prive le lecteur de ses repères les plus élémentaires, dès lors qu'elle joue sur la syntaxe, l'enchaînement des vers et des strophes, les comparaisons insolites, les glissements de sens. D'étonnement en stupéfaction, escomptés par le poète, il court le risque, comme Adonis, de s'égarer à son tour. Jusqu'à une date récente, le jugement critique fut des plus sévères à l'égard de ce poème bizarre que Chapelain (1595-1674), écrivain et académicien français, avait pourtant rangé, malgré sa « nouveauté », sous la bannière de « l'épopée », dont il observe « les règles générales ».
Il convient alors de mesurer à l'aune des règles du récit le contenu narratif de l'Adone, issu pour l'essentiel des Métamorphoses d'Ovide, auxquelles, du reste, Marino accordait le statut de « poésie épique ». La structure narrative de l'Adone peut-être ainsi schématisée : rencontre des deux protagonistes, Vénus et Adonis (C. III, st. 15-153) ; épousailles célébrées par Mercure (C. VIII, st. 22) ; intervention de forces maléfiques (C. XII, st. 7-14) ; séparation du couple (C. XII, st. 95-C. 14, st. 47) ; nouvelle rencontre des protagonistes (C. XV, st. 7-109) ; élection d'Adonis, qui devient roi de Chypre (C. XV, st. 203-C. XVI, st. 263) ; nouvelle intervention de forces maléfiques (C. XVIII, st. 7-44) ; mort d'Adonis (C. XVIII, st. 7-44). Ce schéma met en évidence le jeu de symétries et d'oppositions[...]
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Écrit par
- Mireille BLANC-SANCHEZ : professeur émérite des Universités
Classification
Média
Autres références
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MARINO GIOVANNI BATTISTA dit LE CAVALIER MARIN (1569-1625)
- Écrit par Angélique LEVI
- 2 735 mots
...un des innombrables amis qu'il a gardés en Italie. Il semble en effet qu'il n'ait plus rien à envier. Comblé d'honneurs et de biens, son œuvre majeure, L'Adonis, vient de paraître avec une préface de Chapelain, et il est la coqueluche de cet hôtel de Rambouillet où précieux et précieuses – parmi...