ADOPTION
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La qualité du lien adoptif
Il n'existe en Europe aucune uniformité des systèmes en ce qui concerne le choix des effets de l'adoption. Certaines législations sont dualistes et connaissent deux types d'adoption correspondant peu ou prou à ce que l'on appelle en France l'adoption simple et l'adoption plénière ; d'autres (comme les Pays-Bas, la Suisse, l'Espagne...) sont monistes et ne retiennent qu'une adoption à peu près équivalente à notre adoption plénière. Dans les pays dualistes, la liberté d'option entre les deux types d'adoption est toutefois le plus souvent réduite par des conditions légales qui donnent un profil particulier à chaque institution. Si l'on examine l'évolution des législations sur le long terme, on y perçoit diffusément un besoin de souplesse et un besoin croissant de transparence.
L'adoption et la diversité des besoins
Le droit de l'adoption doit avoir une certaine capacité d'adaptation à la multiplicité de cas de figure qui se présentent. Ce besoin s'est manifesté par deux vagues de questions : d'abord à propos des adoptions à l'intérieur de la famille (intrafamiliales), puis à l'extérieur de celle-ci.
C'est la multiplication des recompositions familiales qui a posé aux législations contemporaines le premier problème. Certaines législations ont dû atténuer les effets de l'adoption plénière pour s'adapter à l'adoption de l'enfant du conjoint. Ce besoin de plus de souplesse a été particulièrement net dans les systèmes monistes où l'adoption simple était inconnue. Par exemple, par une loi de 1979, les Pays-Bas ont introduit l'adoption de l'enfant du conjoint et aménagé les effets de l'adoption plénière à cause d'une forte demande pour que les beaux-parents puissent exercer l'autorité parentale sur l'enfant. Mais les pays dualistes ont également procédé à de tels aménagements.
La seconde manifestation du besoin de souplesse du droit de l'adoption concerne les adoptions en dehors de la famille (hétérofamiliales). Le problème vient des défaillances parentales « en pointillé » : dans de telles circonstances, l'adoption n'est pas envisagée dès la naissance de l'enfant mais s'impose peu à peu au fil du temps si bien que l'adoption plénière risque fort d'apparaître excessive et brutale en raison de la rupture totale des liens avec la famille d'origine. De surcroît, la réticence est encore plus aiguë lorsque les enfants concernés sont issus de communautés religieuses ou culturelles pour lesquelles l'adoption est inconnue ou appréhendée avec suspicion. De tels cas de figure pour lesquels une gradation dans les effets de l'adoption semble bienvenue poussent les pays à système moniste à rechercher des solutions plus souples. Ainsi, l'Adoption and Children Act de 2002 a introduit au Royaume-Uni une nouvelle institution, le special guardianship, à mi-chemin entre une adoption simple et une délégation de l'autorité parentale.
Ce constat vient donc aujourd'hui au soutien des systèmes dualistes qui semblent présenter plus de finesse dans les possibilités de prescription de l'adoption. Un certain recul permet de se faire une idée du bon et du mauvais usage des deux formes d'adoption et un important courant doctrinal milite actuellement pour une revalorisation de l'adoption simple qui a longtemps passé pour une forme secondaire et moins noble d'adoption. Des législations ont d'ailleurs parfois réagi pour mieux cibler les indications particulières de chaque type d'adoption. Peut-être y a-t-il là une piste d'avenir à explorer pour aboutir à une meilleure adéquation entre le besoin d'une cellule familiale de remplacement et la qualité du lien proposé par la loi.
Le débat autour de la parentalité
La question de la gradation des effets de l'adoption pose en outre une question incidente : faut-il à côté de l'adoption, une autre institution pour des tiers s'occupant d'enfants ? La question part d'un double constat. D'une part, il est des situations où l'adoption est une institution trop puissante et mal adaptée à la situation. D'autre part, à l'inverse, l'absence de toute prise en compte par le droit de situations de fait est aussi source de gêne. Dans deux séries de situations au moins, on perçoit bien le problème.
Il s'agit d'abord des situations de recompositions familiales où se fait sentir un souci de sécurité juridique qui ne va pas toutefois dans tous les cas jusqu'au besoin de recourir à l'adoption. Il s'agit ensuite du cas des couples de femmes lesbiennes où l'enfant de l'une, sans paternité établie, est élevé par l'autre : le droit se trouve de toute manière devant le fait accompli, mais l'on peut discuter de la pertinence du recours à l'adoption dans cette hypothèse, recours d'ailleurs écarté par la Cour de cassation dans son arrêt du 20 février 2007.
Dans toutes ces hypothèses, l'absence d'institution adéquate a conduit à la création d'un néologisme – le terme de « parentalité » – qui est utilisé, parfois à dessein, de manière floue et confuse en concurrence avec l'expression de parenté. Alors que la parenté désigne un état qui découle de l'inscription officielle dans une généalogie, la parentalité désignerait une fonction sociale que des adultes remplissent auprès d'un enfant en assurant tout ou partie de son éducation et en lui apportant leur soutien affectif. La multiplication des recompositions familiales et des couples homosexuels éduquant un enfant oblige aujourd'hui à s'interroger sur les moyens de reconnaissance juridique du rapport de parentalité. Soit le législateur accepte alors l'usage de l'adoption, mais là où il aurait peut-être été plus mesuré de consacrer seulement une fonction, on donne un état civil complet qui tire avec lui tout le droit de la filiation – c'est la voie de l'indifférenciation –, soit le législateur s'engage dans la reconnaissance d'institutions qui dotent certains adultes ayant la charge d'enfants de droits quasi-parentaux non fondés sur la filiation – c'est la voie de la différenciation.
À l'heure actuelle, les droits européens sont divisés. Certaines législations, explicitement ou non et selon des conditions diverses, ont autorisé l'adoption de l'enfant d'un des partenaires homosexuels par l'autre ou l'adoption de l'enfant du conjoint pour les pays qui ont ouvert le mariage aux couples de même sexe (Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Islande). Parallèlement, certains pays ont aussi fait le choix de développer des institutions qui permettent une voie plus modérée que l'adoption traditionnelle pour accueillir des formes dites de « parenté sociale » ou de parentalité. Ainsi le special guardianship britannique semble réaliser une tutelle spéciale ne correspondant pas véritablement à l'adoption simple, tout en ayant certains effets similaires. Par la loi du 4 mars 2002, la France a aménagé la délégation de l'autorité parentale qui permet, pour les besoins d'éducation de l'enfant et sur décision judiciaire, un dédoublement entre les parents et des tiers des mêmes prérogatives (art. 377-1, al. 2 du Code civil).
Adoption et accès aux origines
À la suite du progrès des connaissances psychologiques, chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître l'importance de ne plus bâtir l'adoption sur une culture du secret. L'adoption conçue comme une greffe supposant pour réussir l'élimination de toute trace de la famille adoptive a sans doute vécue, même si le type d'adoption rompant les liens avec la famille d'origine ne s'en trouve pas pour autant condamné et que la réalité de l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines est très variable selon les législations.
D'un côté, en opposition avec bon nombre de pays européens, quelques pays (France, Italie, Luxembourg) permettent d'ériger des obstacles à l'accès à la connaissance des géniteurs, mais contrairement à ce qui est trop souvent dit, ces obstacles ne proviennent pas du droit de l'adoption proprement dit. En effet, même dans des systèmes historiquement aussi favorables au secret que la législation française, l'adopté a toujours eu la possibilité d'obtenir une copie intégrale de son acte de naissance sur laquelle figure les références du jugement d'adoption : il peut ainsi remonter à l'identité de ses parents biologiques, à condition que leur identité ait été connue. Les obstacles à la connaissance des origines sont donc en amont de l'adoption et proviennent d'une combinaison de dispositions concernant l'état civil et la législation sociale qui peuvent conduire tout à fait légalement à ne pas connaître l'identité de la mère. En France notamment, il n'existe pas pour la femme accouchée d'obligation d'indiquer son identité dans l'acte de naissance de l'enfant. Reprenant une tradition et des textes plus anciens, l'article L. 222-6 du Code de l'action sociale et des familles autorise la femme à demander lors de son accouchement la préservation du secret de son admission et de son identité par l'établissement de santé. Cette disposition, dont le but est de protéger la santé de la mère et l'enfant lors de la grossesse en évitant des avortements ou des abandons illicites, constitue ce qui est couramment appelé « l'accouchement sous X ». Beaucoup moins utilisée que jadis (moins de 600 cas par an), elle est très critiquée en raison de l'obstacle légal qu'elle érige à l'accès aux origines. Sans doute à cause d'une réforme en 2002 qui en a amoindri les excès en permettant la conservation de l'identité de la femme accouchée si celle-ci le souhaite, cette législation n'a pas été jugée contraire à la Convention européenne des droits de l'homme par la Cour de Strasbourg (Odièvre c. France, 13 fév. 2003) : si la Cour évoque à plusieurs reprises dans sa décision le droit de connaître ses origines, consciente du conflit d'intérêts qui existe, elle accepte toutefois de ne pas voir dans ce droit un droit absolu.
À l'opposé, d'autres pays affichent une volonté de transparence en posant vigoureusement dans leurs législations un droit à la connaissance des origines. Ainsi en Allemagne et en Suisse, les tribunaux ont reconnu un véritable droit à la connaissance des origines biologiques, et en Belgique, d'une part la femme accouchée est obligatoirement désignée dans l'acte de naissance, et d'autre part le jugement d'adoption indiquera la filiation par le sang, si bien que l'enfant devenu majeur, ou ses représentants légaux durant sa minorité, pourront connaître l'identité de la mère de naissance.
On mesure à ces quelques exemples les différences qui entourent en Europe le rapport existant entre les processus menant à une adoption et l'accès à la connaissance des origines, même si la tendance générale est incontestablement au recul des secrets en raison de la prise de conscience de l'importance de certains renseignements sur la construction de l'identité de l'individu. Ces oppositions marquées s'expliquent sans doute pour partie par des différences d'idéologie entourant la filiation. De longue date, les pays germaniques ont accordé de l'importance au lien biologique et l'accès aux origines paraît en être le corollaire naturel. À l'inverse, dans les pays de tradition latine, la filiation – parce qu'elle est au fondement de la famille – a hérité d'une conception beaucoup plus volontariste dans laquelle les liens de famille sont avant tout des liens assumés. À cela, il faut ajouter que la conception de l'adoption comme une greffe a longtemps renforcé l'éviction du passé et par conséquent aussi des géniteurs, redoutés par les familles adoptives pour leur capacité de troubler la relation parents et enfants adoptifs.
On peut se demander si, actuellement, sous l'influence de la circulation des idées et du brassage culturel, les systèmes ne sont pas lentement en train de s'hybrider et de se rejoindre : l'Allemagne a créé dans plusieurs villes des Babyklappen – « boîtes à bébés » qui ne sont pas autre chose qu'une forme revisitée des « tours » que la France a connu jusqu'au début du xxe siècle – et il n'est pas certain, malgré son attachement à l'accouchement anonyme, que la législation française n'évolue pas encore pour aboutir à des transferts de filiation plus ouvertement assumés.
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Écrit par
- Pierre MURAT : agrégé des Universités, professeur à la faculté de droit de l'université de Grenoble-II
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Voir aussi
- CÉLIBAT
- ANTIQUE DROIT
- CONCUBINAGE
- ÉTAT CIVIL
- PAYS-BAS, droit et institutions
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- ACCOUCHEMENT SOUS X
- ENFANT DROITS DE L'
- PUPILLE DE L'ÉTAT
- AUTORITÉ PARENTALE
- FRANÇAIS ANCIEN DROIT
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- ROYAUME-UNI, droit et institutions
- FRANCE, droit et institutions
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