ORDIN-NACHTCHOKINE AFANASSI LAVRENTIEVITCH (1605 env.-1680)
Des administrateurs russes du xviie siècle, Ordin-Nachtchokine (on écrit quelquefois Ordyn-Nachtchokine) est le seul sans doute à avoir atteint la stature d'un homme d'État. À la fois chef militaire, diplomate, économiste, il a su comprendre toute la portée du défi européen avant Pierre le Grand, dont il est, à bien des égards, le précurseur.
Fils d'un nobliau de la région de Pskov, il bénéficie d'une solide instruction avant d'entrer au service du tsar Michel Ier ; en 1642, il est chargé de tracer la ligne de démarcation russo-suédoise selon la paix de Stolbovo, conclue en 1617. Il vient ensuite à bout de la révolte de Pskov en 1650, puis son mérite éclate dans la guerre contre la Suède (1654-1656) : brave et dévoué, c'est en même temps un bon stratège et surtout un excellent organisateur. Il rétablit la discipline, met fin au pillage, s'efforce de remplacer les contingents hétéroclites fournis par la noblesse par une armée régulière. Il est remarqué par Alexeï Mikhaïlovitch, nommé voïvode, boyard proche, puis chef du Posolski Prikaz (Prikaz des ambassadeurs, chargé des Affaires étrangères) et dirige en fait l'État de 1667 à 1671.
Son œuvre est multiple. Instruit apparemment par les révoltes de 1650, il réforme le statut des villes du Nord-Ouest en leur accordant l'autonomie de gestion et en introduisant l'élection des magistrats par les notables. L'œuvre économique est plus remarquable encore. Ordin-Nachtchokine est partisan de rapports commerciaux suivis avec l'Europe occidentale et s'en explique dans divers écrits de circonstance (lettres au tsar, préambule de l'ordonnance du commerce de 1667). À l'instar des hommes d'État européens, il est mercantiliste, et entend bien que ces relations commerciales profitent avant tout à la Russie. La Nouvelle Ordonnance de commerce (Novotorgovyj Ustav) de 1667 édicte à cet effet une série de mesures : les marchands étrangers doivent acheter en monnaie russe ; il leur est interdit d'exporter des métaux précieux ; ils ne peuvent commercer que dans les régions frontières, et seulement pendant quelques semaines. En revanche, si les importations (de produits de luxe notamment) sont freinées, on encourage les marchands russes à exporter, on les protège contre les vexations administratives et contre la concurrence étrangère dans les villages et dans le commerce de détail. Ordin-Nachtchokine espère ainsi favoriser le commerce russe et accumuler des réserves en métaux précieux ; la réorganisation des douanes et des impôts y contribue également. L'État lui est redevable de diverses innovations : établissement d'un service de poste ; embryon de bourse et de banque ; institution des Kurant, sorte de bulletin d'information destiné aux administrateurs, et où les ambassadeurs, plénipotentiaires ou marchands russes décrivent les pays étrangers qu'ils ont visités.
La diplomatie est naturellement un aspect essentiel de son activité. Seul de son temps, il comprend toute l'importance de la question baltique, et fait passer au second plan le conflit avec la Pologne au sujet de l'Ukraine. Négociateur avisé, il dirige les pourparlers du côté russe à la trêve de Valiessar (1659) suivie de l'accord de Pljus avec la Suède, qui garantit les conquêtes russes en Livonie ; il conclut la paix d'Androussovo avec la Pologne, en 1667, qui donne à la Russie Kiev et les rives du Dniepr.
Intransigeant, incorruptible, aussi dur envers lui-même qu'envers les autres, il se fait de nombreux ennemis ; tombé en demi-disgrâce, il se retire au monastère dont on le sort en 1679 pour négocier avec la Pologne. Il y meurt en 1680 sous le nom de moine Antoine.
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Écrit par
- Denise EECKAUTE : maître assistant à l'Institut national des langues et civilisations orientales.
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