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VOINNET AFFAIRE

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En septembre 2014, le site PubPeer, consacré à la discussion des articles scientifiques, publie une série de commentaires pointant des anomalies dans les figures présentant les données de plusieurs articles cosignés par le biologiste Olivier Voinnet. Ce chercheur français est alors mondialement connu pour sa participation à la mise en évidence de l’interférence à ARN, un mécanisme de régulation de l’expression des gènes qui confère notamment aux végétaux une sorte d’immunité. Cette découverte, en partie réalisée durant son doctorat dans le laboratoire de David Baulcombe à Norwich, vaut au chercheur une carrière fulgurante. Recruté comme chargé de recherche au C.N.R.S. un an après sa thèse, il crée un laboratoire au sein de l’Institut de biologie moléculaire des plantes de Strasbourg où il approfondit l’étude de l’interférence à ARN. À partir de 2010, il est détaché du C.N.R.S. à l’École polytechnique fédérale (E.T.H.) de Zurich (Suisse) où il anime une équipe d’une trentaine de personnes. Ses nombreuses publications, influentes, souvent accompagnées de dépôts de brevets, lui valent de prestigieuses récompenses : médaille d’argent du C.N.R.S. (2008), médaille d’or de l’European Molecular Biology Organization (2009) et élection, à quarante-trois ans, à l’Académie des sciences en novembre 2014.

Les anomalies relevées par les commentaires de PubPeer portent sur des figures présentant des gels d’ électrophorèse, une technique permettant de séparer des protéines ou des acides nucléiques qui apparaissent sous forme de bandes sombres dans un gel clair. Les commentaires soulignent que ces bandes sont souvent identiques d’une figure à l’autre, ou inversées en miroir, dans les figures « contrôle », et qu’elles semblent parfois avoir été découpées et repositionnées. Ce soupçon de fraude est jugé suffisamment grave pour que le C.N.R.S. et l’E.T.H. diligentent des enquêtes internes sur ce qui apparaît comme la première affaire d’envergure de fraude impliquant un chercheur français depuis la fin des années 1990.

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En juin 2015, les deux commissions rendent leurs conclusions. La commission du C.N.R.S. ne rend pas public son rapport, et ne s’exprime que par un bref communiqué. Elle constate des manipulations avérées de figures dans treize articles cosignés de Voinnet. Considérant que « ces faits ne sont pas une simple succession d’erreurs, mais le résultat de mauvaises pratiques et qu’ils constituent des manquements graves au principe d’intégrité en recherche scientifique », le C.N.R.S. exclut Voinnet de ses rangs pour deux ans « à compter de la décision mettant fin à son détachement » à l’E.T.H. C’est la sanction la plus lourde jamais prononcée en France dans une affaire d’accusation de fraude scientifique.

La commission d’enquête de l’E.T.H. rend, dans un rapport public détaillé de vingt-deux pages incluant les réponses de Voinnet, des conclusions plus nuancées. De trente-deux articles incriminés, elle en juge vingt problématiques du fait des retouches d’images effectuées, et reconnues par le chercheur. Cinq articles le sont au point de devoir être rétractés, c’est-à-dire retirés de la littérature scientifique. Les autres devront faire l’objet d’un correctif, car les données qu’ils rapportent sont considérées, après examen attentif par la commission, comme valides. « La tragédie est que toutes les expériences qui ont été [mal] rapportées [misreported] dans les articles examinés par la commission ont été bel et bien menées et même, comme l’indique notre examen des données, menées avec soin », note le rapport. La commission de l’E.T.H. exclut donc l’accusation de fabrication (c’est-à-dire d’invention pure et simple) de données. Les faits reprochés à Voinnet, et reconnus par l’intéressé, relèvent, selon elle, d’une violation des règles internes à l’organisme en matière de bonnes pratiques scientifiques, notamment un manquement à ses devoirs « de vigilance sur le contenu des figures publiées et […] de surveillance en tant que chef d’équipe ». La sanction prononcée par la direction de l’E.T.H. se limite à un avertissement, ainsi qu’à l’obligation de poursuivre ses travaux à l’E.T.H. « accompagné d’un spécialiste externe afin de mettre en place les mesures nécessaires pour améliorer son comportement de travail ».

Comparée à d’autres cas retentissants de manquements à l’intégrité scientifique qui ont fait grand bruit depuis les années 2000 (Haruko Obokata, Hwang Woo-Suk, Jan Hendrik Schön), l’affaire Voinnet présente trois particularités intéressantes. La première est qu’elle naît sur Internet, conférant ainsi une grande notoriété au site PubPeer, jusque-là assez confidentiel. Ce site de commentaires post-publication montre ainsi qu’il peut jouer un rôle de contre-pouvoir, ou du moins de correction des carences du processus d’évaluation par les pairs (peer-review) des manuscrits soumis aux revues scientifiques. Il est en effet frappant de constater qu’ aucun des relecteurs n’avait remarqué les retouches d’images opérées par Voinnet et ses collaborateurs sur plusieurs dizaines d’articles. La seconde est qu’elle porte sur la zone grise entre « petits » manquements à l’intégrité scientifique et fraude authentique. Tous les observateurs s’accordent à penser que c’est là, et non dans les fraudes caractérisées que sont les inventions de données (qui ont toujours existé, mais sont marginales), que la situation s’est détériorée depuis une quinzaine d’années dans la recherche en sciences de la vie du fait de l’intensification de la pression à la publication. La troisième et dernière est qu’elle montre, par son caractère franco-suisse, la diversité des approches nationales en matière de traitement des allégations de fraude. En France, longtemps rétive à traiter de ces questions, le choix semble avoir été de « faire un exemple » en prononçant une sanction très lourde, mais à l’issue d’une procédure sans aucune transparence. En Suisse, le choix a été exactement inverse.

— Nicolas CHEVASSUS-AU-LOUIS

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