- 1. Difficultés du concept
- 2. La disjonction de l'affect et de la passion : Kant
- 3. Affectivité et passions dans la tradition classique
- 4. Affectivité et passions dans la philosophie allemande des XIXe et XXe siècles
- 5. La disjonction de l'affectivité et de la subjectivité : Heidegger
- 6. Prolégomènes pour une phénoménologie de l'affectivité
- 7. Bibliographie
AFFECTIVITÉ
Quoique n'ayant guère plus d'un siècle d'existence, et d'un usage aujourd'hui devenu courant, le terme d'« affectivité », de la même famille qu'« affect » ou « affection », est chargé d'une ambiguïté qui traverse les âges : impliquant plus ou moins une passivité qui échappe à la maîtrise de la raison, l'affectivité est, en tant que « lieu » ou « système » des affects, plus ou moins éloignée ou rapprochée – parfois jusqu'à la confusion – du « lieu » ou « système » des passions. Avec la rigueur qui lui est propre, Kant est le premier à avoir clairement distingué l'affect de la passion, et est en ce sens, bien avant l'apparition du terme dans le vocabulaire, le premier philosophe de l'affectivité. Cette distinction permet de jeter un regard rétrospectif jusqu'aux Grecs, et de débrouiller le traitement philosophique – fût-il négatif – de la question aux xixe et xxe siècles, jusques et y compris Heidegger, qui, en notre temps, l'a radicalement renouvelée. La perspective historique montre que « la chose même » que le terme désigne a toujours été pensée dans notre tradition aux croisements de la philosophie et de la médecine – mais aussi de l'expérience religieuse. Si l'on veut aujourd'hui envisager une phénoménologie de l'affectivité, ce ne peut être qu'en la confrontant à ces « pathologies de l'âme humaine » que sont les névroses et les perversions, mais aussi, par-delà ce que la psychanalyse a mis à jour, les psychoses. Les premières pourraient être nommées « pathologies des passions », au sens où, déjà, en parlait Marivaux : « Notre vie est moins chère que nous, que nos passions. À voir quelquefois ce qui se passe dans notre instinct là-dessus, on dirait que, pour être, il n'est pas nécessaire de vivre, que ce n'est que par accident que nous vivons, mais que c'est naturellement que nous sommes. » Les secondes pourraient, en revanche, être désignées comme des « pathologies de l'affectivité », portant la menace de la dislocation au cœur de l'existence (la vie) elle-même. Dans la mesure cependant où ce sur quoi ouvre la notion a toujours été l'objet d'un problème pour la philosophie – problème explicitement élaboré par elle –, son traitement paraît devoir être, préalablement, philosophique.
Difficultés du concept
C'est dans un contexte relativement indécis, aux frontières entre la philosophie et la psychologie, que le terme « affectivité » apparaît dans la seconde moitié du xixe siècle, avec l'équivoque de désigner tout à la fois le pouvoir d'être affecté et le « système » des « affects », lesquels se distinguent des sensations en tant que celles-ci sont exogènes alors qu'ils sont censés être endogènes. L'affectivité suppose donc la distinction entre la subjectivité, en tant qu' intériorité de la psyché, et l'extériorité du monde extérieur. Le terme « affect » est cependant d'origine plus ancienne, puisqu'il remonte à la seconde moitié du xviiie siècle, et semble désigner, plus ou moins indistinctement, le sentiment, l' émotion, voire la passion. Il dérive en effet du terme latin afficere qui signifie l'aptitude à être touché, et implique une modification subie par ce qui est ainsi « touché ». Il y a dans le concept d'affectivité le concept d'une passivité – ce qui semble justifier son rapprochement avec le concept de « passion » ou de pathos –, et même, en un sens, d'une passivité constitutive du sujet. À ce titre, le problème sera toujours de savoir si l'affectivité endogène du sujet lui est strictement co-originaire ou si elle ne trouve à se déployer qu'à l'occasion de la rencontre d'un objet ou d'un [...]
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Écrit par
- Marc RICHIR : docteur en philosophie, chargé de cours titulaire à l'université libre de Bruxelles, chercheur qualifié au F.N.R.S. (Belgique), directeur de programme au collège international de philosophie (Paris)
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