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AFFECTIVITÉ

Affectivité et passions dans la tradition classique

Sans pouvoir entrer ici dans l'extrême complexité et la richesse immense de l'expérience grecque de l'affectivité et des passions – notamment dans la littérature tragique –, il est néanmoins possible de placer quelques repères significatifs chez les philosophes. « Le Grec, écrit E. R. Dodds, a toujours vu dans l'expérience d'une passion une chose mystérieuse et effrayante, l'expérience d'une force qui est en lui, qui le possède au lieu d'être possédée par lui. Le mot lui-même pathos en témoigne : comme son équivalent latin passio, il signifie quelque chose qui “arrive à” un homme, quelque chose dont il est la victime passive. Aristote compare l'homme dans un moment de passion à des personnes endormies, démentes ou ivres : sa raison, comme la leur, est suspendue. » À la passion correspond, chez Homère, l'atê comme état d'obscurcissement, comme « folie » passagère et « démonique », d'origine surnaturelle – le daimon se sert de l'esprit et du corps humain comme d'un instrument. Nulle place ne semble être faite, dans ce contexte, à ce que nous avons relevé avec Kant comme l'affect, pour lequel il n'y a, semble-t-il, pas de nom. Dans le Phédon, Platon défend l'idée que l'âme rationnelle, celle qui a le logos, « ne pourra reprendre sa véritable nature, qui est divine et sans péché, qu'une fois purgée de la “folie du corps” par la mort et par l'ascèse », et « que la vie bonne est la pratique de cette purgation, meletê thanatou » (E. R. Dodds). Et cependant, tout en écrivant, dans La République (IX, 572 b) qu'« il existe au fond de chacun de nous une forme terrifiante, sauvage et indisciplinée (anomon) de désirs » et que « c'est bien là ce qui se manifeste dans les rêves », il conçoit, dans le même texte, les passions non plus simplement comme quelque chose d'origine extérieure dont il faudrait se débarrasser, « mais comme un élément nécessaire à la vie de l'esprit, et même comme une source d'énergie qui peut être “canalisée” vers une activité soit sensuelle soit intellectuelle » (E. R. Dodds). Le conflit (stasis) entre les passions et la vie sage n'est donc plus un conflit contre quelque chose d'extérieur, mais un conflit interne à deux parties de l'âme, dont la théorie est formulée dans Le Sophiste (227 d-228 e). Et l'on sait le rôle central de l'éros dans Le Banquet et le Phèdre, pour l'accession à la disposition au savoir (cf. D. Montet). À cet égard, déjà, on trouve chez Platon la distinction, dans la « chose même », entre l'amour comme passion qui se ferme et se durcit et ce que nous nommerions l'amour comme affect – les deux sollicitant les puissances du désir.

Cette ambiguïté des « passions », selon qu'elles obnubilent ou qu'elles livrent au passage, éventuellement en y aidant, à la vie sage, caractérise d'une certaine manière la conception grecque de la sensibilité humaine. Ainsi le « pathique » est-il tantôt finement analysé en tant qu'obstacle, mais aussi ressource de la vie éthique, comme chez Aristote, en particulier dans l'Éthique à Nicomaque, tantôt entièrement rejeté comme obnubilant et obscurcissant – comme si tout affect se confondait avec la passion –, par exemple chez les stoïciens orthodoxes, les épicuriens et les sceptiques – tout trouble devant être éliminé en vue de l'ataraxia.

Comme toujours cependant, les choses sont beaucoup plus complexes dans le détail. Deux cas valent la peine d'être signalés : celui du livre II de la Rhétorique d'Aristote et celui de la conception des passions dans l'ancien stoïcisme. Ce qui fait tout l'intérêt de l'étude aristotélicienne des passions[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, chargé de cours titulaire à l'université libre de Bruxelles, chercheur qualifié au F.N.R.S. (Belgique), directeur de programme au collège international de philosophie (Paris)

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