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AFFECTIVITÉ

Affectivité et passions dans la philosophie allemande des XIXe et XXe siècles

Il ne saurait être question d'entrer ici dans une étude détaillée de l'idéalisme allemand (Fichte, Hegel, Schelling), qui, en tant que réinstitution de la métaphysique sur la base de ce que Kant n'avait réaménagé de la langue philosophique que dans un cadre architectonique, n'eut pas de postérité philosophique immédiate – exception faite de Hegel, mais dans le champ de la philosophie de l'histoire. Signalons néanmoins que Fichte est probablement l'inventeur du concept de «  pulsion » (Trieb) en philosophie, et que Schelling traita de la différence qui nous occupe dans les célèbres Recherches sur la liberté humaine, au sein d'une métaphysique du bien et du mal qui reprenait à son compte la conception kantienne du mal radical.

Deux apports se sont montrés extrêmement prégnants pour notre temps, l'un issu de la philosophie ( Nietzsche), l'autre, de la médecine (Freud). Et il est caractéristique que, dans les deux cas, l'affectivité y soit dans une position instable, voire à la limite de l'extinction, comme si le soupçon moderne y avait été poussé à l'extrême. Ce qui est significatif chez Nietzsche, dans sa conception de la «  volonté de puissance », c'est que l'affectivité comme ouverture à l'excès susceptible de la dépasser semble disparaître en s'enfouissant dans le champ des pulsions ou des passions. Cependant, comme l'écrit Michel Haar, la volonté de puissance – qui n'est pas sans évoquer, par son caractère originaire, la multiplicité des appétitions de la monade – « possède une réflexivité fondamentale, ce qui veut dire qu'elle est toujours autodépassement, soit dans l'action, soit dans la réaction. Elle se présente originairement à elle-même comme la diversité chaotique et contradictoire des pulsions élémentaires : elle est l'affectivité primitive ». Selon Nietzsche, tout individu, toute culture, toute civilisation, se présente selon une certaine « idiosyncrasie » des pulsions, soit dans l'affirmation active de la vie, soit dans sa négation réactive : dans la santé ou dans la décadence, où Nietzsche range les élaborations métaphysiques et religieuses qui « déprécient » la vie au profit d'une « autre vie » inaccessible dans un « arrière-monde ». Le renversement nietzschéen – dont on ressent, à titre de symptômes, les effets jusqu'à aujourd'hui – consiste à assimiler ce qui était classiquement reconnu comme l'excès transaffectif, sur lequel était censé ouvrir l'affect, à une passion, avec toute l'intelligence qu'elle comporte, de négation de l'affect, et, de là, de la vie – à un ressentiment. Tout au contraire, l'affectivité y est conçue comme ce qui livre passage à la vie, dans son libre jeu d'elle-même à elle-même comme accroissement infini – ce jeu étant celui, innocent, du devenir et de l'éternel retour. La « transmutation de toutes les valeurs » est donc, pour Nietzsche, une sorte de « médecine » de l'âme et de la civilisation, propre à délivrer celle-ci du « nihilisme » en tant qu'asthénie de la vie. Pensée ambiguë et dangereuse en ce que rien, en elle, ne semble la prémunir d'une glorification unilatérale des passions humaines – dont la passion de la puissance qui, on le sait, s'en est emparée en profitant du malentendu.

Beaucoup plus claire, mais aussi très clairement mutilante, en ce sens, est la théorie freudienne des affects, tout au moins en tant que théorie philosophique – ce à quoi elle prétendait, ne fût-ce que par l'affirmation dogmatique de son caractère « scientifique ». On pourrait dire de cette conception qu'elle est une théorie remarquablement cohérente des « passions » et qu'elle échoue complètement[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, chargé de cours titulaire à l'université libre de Bruxelles, chercheur qualifié au F.N.R.S. (Belgique), directeur de programme au collège international de philosophie (Paris)

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