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AFFECTIVITÉ

La disjonction de l'affectivité et de la subjectivité : Heidegger

Ce n'est pas le lieu, ici, de redéployer toute la problématique, difficile par sa subtilité et par sa nouveauté, d'Être et Temps. Rappelons que, au lieu de caractériser l'homme par la subjectivité ou la conscience – ce qui sous-tend toujours, par l'autonomie de ce que ces concepts sont censés désigner, l'équivoque d'un être qui pourrait être tout autant hors du monde qu'être dans le monde ou au monde, tout autant dans le recoin d'une intériorité coupée du monde ou fermée au monde que projetée, au-dehors, sur les êtres et les choses du monde –, Heidegger le caractérise par le Dasein, terme littéralement intraduisible qui signifie que l'homme est un être toujours déjà « là » (Da), au monde, existant, au sens transitif, non pas seulement soi, mais le monde, l'existence n'étant pas une existence « en soi », métaphysique, mais ek-sistence, être soi à l'écart originaire de soi, concrètement, au monde, et au temps. C'est dire que l'existence est originairement mondaine et temporelle, mortelle, se déployant chaque fois dans la temporalisation selon les guises des articulations des trois ek-stases du temps (futur, passé, présent), dans ce qui est chaque fois un monde dans sa « mienneté » (Jemeininigkeit), sous l'horizon duquel paraissent les êtres et les choses – les étants. C'est dire aussi que le Dasein est inséparable de « son » monde, et que, sans être assimilable à un fait brut, il est néanmoins toujours, chaque fois, « factice ».

« Factice », cela signifie que le Dasein, plus ou moins en souci de son origine – c'est-à-dire de son être –, se trouve originellement – pour peu qu'il s'y « résolve dans l'authenticité » de son souci – dans l'impossibilité non pas de se représenter imaginairement son origine, mais d'y accéder à la mesure de l'abîme qu'elle creuse. Autrement dit, cela signifie que le Dasein « se trouve » toujours déjà au monde en même temps que le monde où il est. Cette découverte originelle du monde – de l' être-au-monde – s'effectue, pour Heidegger, dans la Stimmung, mot pareillement intraduisible qui signifie en même temps « vocation, résonance, ton, ambiance, accord affectif subjectif et objectif » (M. Haar). La Stimmung est à la fois comme le ton qui donne le ton de l'être-au-monde, et ce par quoi le Dasein est gestimmt, irréductiblement tenu au monde. Rattachée classiquement aux « humeurs » ou aux affects, elle est par essence imprévisible, « elle n'est nulle part et peut survenir de partout » (M. Haar), et cela aussi bien dans les modes d'être « inauthentiques » du Dasein – dans l'anonymat du « on » – que dans ses modes d'être « authentiques », à ceci près que certaines Stimmungen s'y convertissent, chaque fois, en Grundstimmung, où le Dasein découvre l'étrangeté inquiétante (Unheimlichkeit) du monde et de son être-au-monde – à l'époque de Sein und Zeit, c'est dans l'angoisse ou « l'ennui profond », là où les êtres et les choses, ainsi que leurs réseaux quotidiens de significabilités réciproques, s'évanouissent et glissent dans le néant.

Dans la Stimmung, le Dasein se trouve donc toujours déjà, sans qu'il l'ait voulu, et sans qu'il puisse le maîtriser, affecté dans son être-au-monde ou en tant que rapport originaire du monde. Cet être affecté comme tel, où le Dasein « se trouve » toujours originairement, Heidegger le désigne comme Befindlichkeit – à la fois « affectivité » et « sentiment de la situation » (de Waelhens et Bœhm) – qui signale, pour ainsi dire, ce qui, du Dasein, se découvre comme être toujours déjà projeté au monde. Ce « toujours déjà[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, chargé de cours titulaire à l'université libre de Bruxelles, chercheur qualifié au F.N.R.S. (Belgique), directeur de programme au collège international de philosophie (Paris)

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