AFRIQUE NOIRE (Arts) Aires et styles
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La culture Nok
La culture Nok, découverte fortuitement au cours du xxe siècle dans le centre du Nigeria, reste aujourd'hui encore peu connue. De récentes datationss tendent à prouver qu'elle se serait épanouie au cours du Ier millénaire avant notre ère. Les matériels issus des fouilles ont également démontré que les Nok étaient sédentaires, agriculteurs, et qu'ils maîtrisaient la fabrication du fer, mais on ignore presque tout de leur habitat et de leur organisation urbaine et sociale. La production artistique est certainement l'aspect le mieux connu : ce sont exclusivement des œuvres en terre cuite – même s'il est probable que des sculptures en bois aient pu exister – qui se distinguent par la qualité remarquable de la statuaire anthropomorphe.
Découverte de la culture Nok
La culture Nok s'est épanouie dans le centre du Nigeria, dans les provinces du Plateau, de la Bénoué, de Kaduna, du Niger et sur le territoire de la capitale fédérale Abuja, entre les villes de Maitumbi, Katsina Ala et Kagara. La zone est approximativement comprise entre 100 et 70 de latitude nord, puis entre 60 et 100 de longitude est. Ce périmètre, très vaste, s'étend du nord au sud sur près de 272 kilomètres, et d'est en ouest sur 240 kilomètres. Une vingtaine de sites ont, à ce jour, révélé des vestiges de la culture Nok. C'est en 1928 qu'apparaît, dans le village de Nok, la première sculpture attribuée à cette culture. Cette découverte reste isolée jusque dans les années 1950, date à laquelle l'exploitation des mines d'étain s'intensifie et en révèle un grand nombre. Ces œuvres, qui constituent aujourd'hui les quelques centaines de pièces des collections publiques nigérianes, ont été retrouvées hors de leur contexte d'origine. Elles ont en effet été détachées de leur milieu de conservation par l'érosion, emportées par des rivières et mélangées aux alluvions contenant de grandes quantités de graviers stannifères.
Parallèlement à ces découvertes fortuites, quatre sites – Taruga, Samun Dukiya, Katsina Ala et Old Zankan – ont été fouillés par des archéologues anglais et nigérians. C'est à Bernard Fagg que l'on doit la prise en charge des toutes premières collectes et investigations pour les musées nigérians. Les archéologues nigérians, en particulier Joseph Fazing Jemkur et Yasmin Isa Bitiyong, prirent ensuite la relève. Toutefois, seules quelques sculptures furent découvertes lors de ces investigations. La connaissance que nous avions de la culture Nok et de sa production artistique demeurait extrêmement succincte. À partir du milieu des années 1990, cette région a subi un pillage sans précédent de ses sites archéologiques, mettant au jour plusieurs milliers de sculptures en terre cuite. Ces œuvres d'art, elles aussi hors contexte, sont venues alimenter le marché de l'art occidental et sont conservées dans des musées mais surtout dans des collections privées en Europe et aux États-Unis.
En 2001, une thèse de doctorat, basée sur ces sculptures récemment découvertes, a apporté de nouveaux éclairages sur la culture Nok, sa production artistique et sa chronologie. De nouvelles datations ont permis d'actualiser la situation chronologique de la culture Nok. Cette dernière, souvent située entre le ve siècle avant notre ère et le ve siècle après, est désormais résolument ancrée dans le Ier millénaire avant notre ère, entre le ixe et le iiie ou iie siècle environ. D'après les matériels issus des fouilles, on sait que les Nok étaient sédentaires, agriculteurs et qu'ils ont maîtrisé de manière très précoce la fabrication du fer. La production artistique reste, aujourd'hui encore, l'aspect le mieux connu de la culture Nok.
Iconographie et fonction des sculptures
Le corpus est constitué exclusivement d'œuvres en terre cuite dont la hauteur s'établit entre 2 centimètres et 1,65 mètre environ, mais il est probable que des sculptures en bois aient pu exister. Les œuvres en terre cuite Nok connues se distinguent par la qualité remarquable de la statuaire anthropomorphe. Les études ont révélé la récurrence d'un certain nombre de positions assises et debout dont la représentation est strictement codée. Certaines d'entre elles sont, à ce jour, spécifiquement masculines ou féminines. Il faut également souligner l'importance que revêtent les arts du corps. Les personnages sont toujours coiffés, ornés et habillés de manière délicate et complexe. Ils portent des colliers de fibres tressées ou de perles en pierre, des peaux de félins, des peaux de serpents et de très nombreux accessoires. L'utilisation de ces différentes parures est probablement liée à une fonction particulière occupée par le personnage (chef, chasseur, religieux) au sein de la société.
Si la codification de la représentation paraît incontestable, il ne s'agit pourtant pas d'une production stéréotypée répétant des modèles figés. Cela laisse donc à penser que les artistes effectuaient un travail d'individualisation et que les statues pourraient correspondre à des portraits, au sens africain du terme, dans lesquels l'identification de la personne se fait non pas par la ressemblance physique, mais grâce à la parure et aux accessoires la caractérisant. Si tel était le cas, les statues devaient être commandées pour un usage qui demeure encore bien délicat à envisager en l'absence des contextes archéologiques. Un rôle dans un culte aux ancêtres, une glorification de la personne de son vivant ou un lien avec l'inhumation paraissent crédibles, mais l'usage de telles statues serait peut-être alors, dans cette éventualité, réservé à certaines personnes.
Il faut également mentionner l'existence de statues zoomorphes (serpent, éléphant, etc.), de récipients agrémentés sur leur panse de figurines anthropomorphes et zoomorphes en bas-relief, ainsi que de sculptures énigmatiques jusque dans leur identification.
La technique de fabrication
La pâte, dont la couleur varie du beige ocre au rouge latéritique, est un amalgame d'argile et de dégraissants minéraux grossiers enduit d'un engobe. Les plus petites rondes-bosses sont pleines tandis que les autres sont creuses. Ces dernières sont montées aux colombins, sans moule et les détails sont obtenus par ajout et enlèvement de matière. Des charbons de bois ont été retrouvés dans le remplissage archéologique des cavités de certaines sculptures. Leur emplacement et leur grosseur suggèrent qu'il s'agit de restes calcinés d'armatures insérées au moment de la confection de ces statues et ayant pour fonction le soutien de l'œuvre avant et pendant la cuisson (Boullier, 2003). Les sculptures étaient ensuite séchées et enfin cuites, probablement sans four structuré, sous un amas de végétaux.
Les styles
L'identité stylistique de l'art Nok se base sur un ensemble de conventions formelles. Parmi les caractéristiques les plus marquantes, on notera l'usage d'un canon de trois ou quatre têtes, la forme des yeux en arc de cercle ou en triangle, le percement des orifices de respiration, d'audition et de vision, la simplification idéalisée des corps mais aussi une tendance générale à l'éphébisme.
Cinq principaux styles sont identifiés – Classique, Courbe et Maniéré, Graphique, Expressionniste, Naturalisant –, tandis que d'autres restent à déterminer. L'impact formel de chacun est particulièrement sensible au niveau du visage, lieu de toutes les expérimentations stylistiques.
Les sculptures du style Classique sont une application exemplaire de la formule morphologique Nok. Les statues sont de grande taille et dans l'une des positions assises connues ou en génuflexion. Au niveau des corps, on note une prédilection pour les volumes tubulaires et un usage prononcé de la symétrie dans les gestes et les parures, et ce au profit de compositions équilibrées, sobres, sans fioritures. Les visages présentent des traits réguliers, un front ample prolongé par une longue arête nasale souvent placée dans le même plan que le front et conférant à ces visages un « profil grec » mais aussi un menton fuyant. En outre, on soulignera la prédilection des artistes pour l'alignement parfaitement horizontal des yeux qui marquent le milieu de la face. Il se dégage de ces visages une impression de concentration sereine, mais un peu sévère, qui doit beaucoup à ces regards pénétrants et fixes.
Le style Courbe et Maniéré est une application moins stricte du style Classique. Les principaux traits du visage, les yeux, les narines et les lèvres, perdent la rigoureuse rectitude du style Classique pour des lignes courbes parfois presque sinueuses. Le triangle formant l'œil est constitué de courbes subtiles aux cambrures plus ou moins prononcées. Le globe oculaire gagne en volume et la pupille, systématiquement décentrée, est « tombante » dans la pointe inférieure de l'œil. Les lèvres, plutôt minces et délicatement ourlées, présentent une ondulation caractéristique de ce style. L'arête nasale à peine mise en volume est fortement allongée. On constate aussi que le modelé, mis en valeur par l'engobe souvent bien conservé sur ces œuvres, se révèle d'une très haute qualité : les transitions entre les différents plans du visage se font par des pentes douces et harmonieuses. L'idéalisation gracieuse donne aux visages un aspect maniéré servi par une ornementation raffinée. Bijoux et coiffures sont, en effet, figurés avec un rare souci du détail.
Le style Graphique se caractérise par une conception linéaire et quasi géométrique. L'ensemble de la statue s'inscrit dans le volume d'un tube creux, étroit, très allongé, qui s'assimile à une colonne. Sur le volume cylindrique du corps viennent se plaquer la parure et les membres supérieurs qui encadrent le buste avec une symétrie presque parfaite. Les membres inférieurs, seulement différenciés par une ligne médiane sur les faces antérieure et postérieure, restent inscrits dans la forme générale du tube. La symétrie, la multiplication des cylindres, le goût des longues lignes droites et l'étirement prononcé de tous les volumes du corps confèrent à l'ensemble de ces constructions une verticalité propre à ce style. L'attitude est alors statique, rigide et le personnage semble contracté, étriqué, resserré sur lui-même comme si ses mouvements étaient entravés. La tête est portée par un cou puissant et massif dans l'axe du corps. Le visage montre, lui aussi, tous les signes de cette conception formelle. De face, il apparaît à l'observateur complètement plat et sans modelé. Les yeux sont représentés sous forme de triangles aux angles aigus, l'arête du nez disparaît dans l'ensemble du visage ce qui lui confère un parfait « profil grec ». Les narines apparaissent en saillie légère mais n'en demeurent pas moins dilatées en largeur. La bouche, fréquemment entrouverte sur les dents, est formée de lèvres à la fois larges et plates. Les coiffures ne dérogent pas à la règle et perdent leur complexité et leur volume au profit de compositions plus sobres et surtout plus plates. Les cheveux courts ou rasés ont la faveur des artistes.
Le style Expressionniste se caractérise par une conception beaucoup plus plastique que celle du style Nok Classique en poussant au paroxysme les moyens plastiques habituellement utilisés. Au niveau du visage, le style Expressionniste se particularise par un développement en volume très prononcé de certaines parties. La bouche et le nez accusent l'hypertrophie la plus sensible. Si elle concerne peu l'arête nasale, plus courte qu'à l'accoutumée, il n'en va pas de même des narines très dilatées. Elles prennent la forme d'un quart de cercle et dans leur continuité viennent se placer les moustaches. La bouche, particulièrement ample est toujours ouverte. Les lèvres sont larges, plates et très volumineuses. Les yeux et les pupilles gagnent aussi en superficie mais leur augmentation est plus ou moins sensible selon les sculptures. Le strict triangle oculaire du style Classique est, ici, adouci au profit d'une forme en amande ou en demi-cercle. Le bourrelet du contour de l'œil, souvent développé à outrance, les sourcils, particulièrement épais, accentuent la zone médiane du visage.
Le parti pris stylistique s'éloigne ainsi des conventions communes aux trois premiers styles. Ici, les linéaments du visage sont lourds et quelque peu disgracieux, perdant tout caractère d'idéalisation, tandis que les applications les plus extrêmes du style sont quasi caricaturales. Il résulte de l'hypertrophie des principaux éléments du visage une composition heurtée, avec des oppositions fortes entre les volumes très saillants et les surfaces plus planes, occasionnant de puissants jeux d'ombres et de lumière. L'expression des visages gagne en intensité.
Le style Naturalisant tente une restitution plus naturelle du visage. Ce dernier perd sa forme ovale caractéristique et gagne en rondeur. Les proportions du visage, sans atteindre un canon réaliste, sont plus organiques. Le front perd de sa hauteur, les yeux en demi-cercles s'éloignent de la forme triangulaire stricte et l'on constate même un rendu assez réaliste du gonflement de la paupière supérieure sur quelques têtes. Le nez court prend lui aussi du volume notamment au niveau de son arête alors que ses ailes, peu développées en largeur, sont fines et discrètes. La bouche est cernée par des lèvres toujours épaisses mais plus modelées et plus gonflées que dans les autres styles. Le menton est aussi moins fuyant et nettement visible. Le modelé du visage paraît également plus naturel grâce, notamment, à la sensation du squelette sous-jacent à la peau au niveau des arcades sourcilières, du nez, des joues, des pommettes et du front. Cette quête de naturalisme met aussi à mal la convention d'idéalisation de l'art Nok. Si de nombreux visages du style Naturalisant apparaissent toujours juvéniles, d'autres laissent transparaître le travail du temps. On constate ainsi, chez les hommes, des calvities et l'apparition de rides encadrant la bouche sur quelques représentations féminines.
Les datations récentes nous éclairent sur le cheminement des formes et des styles. Il semble que les styles Classique, Courbe et Maniéré, Expressionniste et Naturalisant se soient succédé même s'il s'avère encore difficile d'établir des bornes chronologiques précises. Le style Classique (xe-viiie siècle avant notre ère) et le style Courbe et Maniéré (ixe-vie/ve siècle avant notre ère) seraient les deux plus anciens connus. Le style Expressionniste, quant à lui, se serait développé aux environs du vie ou du ve siècle avant notre ère, tandis que le Naturalisant débuterait vers le ve pour s'achever vers le iie siècle avant notre ère. Malheureusement, nous ne possédons aucune information chronologique pour le style Graphique.
Cette chronologie stylistique, encore balbutiante, nous montre les investigations formelles réalisées par les artistes en adéquation avec l'évolution de leur société. À la perfection des modelés et au respect scrupuleux des conventions de représentation succèdent des formes, notamment dans les styles Expressionniste et Naturalisant, qui s'éloignent de la rigueur des styles plus anciens.
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Écrit par
- Claire BOULLIER : docteur en histoire de l'art
- Geneviève CALAME-GRIAULE : agrégée de grammaire, docteur ès lettres, directeur de recherche honoraire au C.N.R.S.
- Michèle COQUET : anthropologue, chercheur au C.N.R.S.
- François NEYT : professeur émérite à l'université catholique de Louvain, membre titulaire de l'Académie royale des sciences d'outre-mer de Belgique
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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